Un crabe dans la tête / André Turpin : Le bernard-l'hermite
Cinéma

Un crabe dans la tête / André Turpin : Le bernard-l’hermite

Qui est Alex? Un gars d’aujourd’hui. David La Haye joue un Québécois qui frôle la trentaine, photographe sous-marin sillonnant les mers du globe pour une belle photo.

Qui est Alex? Un gars d’aujourd’hui. David La Haye joue un Québécois qui frôle la trentaine, photographe sous-marin sillonnant les mers du globe pour une belle photo. Après un accident, il se trouve coincé à Montréal entre deux avions, et sa vie prend une drôle de tournure. Son agent organise une expo de photos bien mystérieuses; il s’embarque dans une aventure avec une journaliste qui se sent mal à l’aise dans le mensonge (Isabelle Blais); fout le bazar dans le couple de son meilleur ami (Emmanuel Bilodeau et Chantal Giroux) et se retrouve dealer, sans le faire exprès. Alex ne sait pas dire non, mais sait se mettre dans le pétrin. Dernier film d’André Turpin (Zigraïl et Cosmos), Un crabe dans la tête, présenté à Toronto puis en ouverture du 30e FCMM, est à l’image de son héros: séduisant et léger. Et ce n’est pas si commun, une comédie dramatique soignée qui mette le doigt sur les bobos de quelques homo sapiens nombrilistes de notre urbanité ambiante… Assez mode, en fait.

Quand on pense Turpin, on pense d’abord image. Directeur photo de Maelström, de Matroni et moi, d’Un 32 août sur terre, de La Comtesse de Baton Rouge et de nombreuses pubs, il est l’un des meilleurs faiseurs d’images de sa génération. L’évidence est là, encore une fois: ambiance bleutée et aquatique; décors précis (le temps d’une scène, Alex va téléphoner dans la Biosphère: il faut le vouloir); élégance aiguisée des cadrages qui jouent avec les arêtes, les transparences et les reflets; scènes marines de type Le Grand Bleu; petit crabe en gros plan, métronome du récit, comme le poisson de Maelström; visage anguleux de La Haye mis en relief; montage sonore et visuel soigné: bref, le film est une recherche esthétique continue. Et pourtant… "Après l’écriture du scénario, je n’avais rien, juste quelques flashs, explique le réalisateur. Je savais où j’allais tourner, je connaissais les costumes et le contenu, mais je ne savais pas où placer la caméra et la lumière. Alors que sur le film d’un autre réalisateur, je planifie tout. Là, j’avais la liberté d’être intuitif."

Turpin a eu le nez fin: Un crabe… met en scène un Montréal qu’on décrit rarement, et il vise plutôt juste dans la peinture de ses personnages. La réalité est un peu bédé, mais c’est aujourd’hui et dans cette ville. On y voit des enfants gâtés du Plateau-Mont-Royal, de jeunes professionnels enthousiastes qui courent comme des poules sans tête dans d’imposantes constructions high-tech. Ça change des post-granoles. La caricature agace (la journaliste sans humour, la grande folle, la junkie, etc.), mais les deux copains (La Haye et Bilodeau) sont crédibles dans toutes leurs bibittes.

"Les gars de 25 ans se sont identifiés au personnage; les femmes dans la trentaine ont dit qu’il leur faisait penser à leur ex; et certaines, un peu plus âgées, ont déclaré qu’il faisait pitié! En fait, je pensais à moi à l’âge de 25 ans. Mon but n’est pas qu’on aime Alex, ses défauts sont très clairs: ils sont le sujet du film." André Turpin a tapé dans le mille en donnant le rôle à La Haye qui, avec de faux airs de Gérard Philipe, porte la superficialité du personnage avec un naturel comique à exploiter. Il mystifie et blesse son entourage, il s’en mord les doigts; mais la scène d’après, insouciant, il danse sur la voix de Thomas Fersen… Comme on passe en douceur de la farce (le zozo survolté du speed boat) à l’humour, et du romantisme au pathétique, le visuel suit la cadence: de l’hypergraphique effréné à l’esthétique froide, et du tempo jovial au calme tranquille filmé comme une sieste au chalet. "Je pense que ce serait une erreur que de mettre dans ses films ce qu’on aime dans le cinéma des autres, explique le réalisateur féru de Tarkovski et de Bresson. Moi, j’aime changer de ton, rendre l’humour dramatique." Dans la fantaisie, le crabe dans la tête de Turpin ne marche pas de travers…

Voir calendrier
Cinéma exclusivités