Les Rencontres internationales du documentaire : Réalités troubles
Films, débats, ateliers: les 4es Rencontres internationales du documentaire nous emmènent au coeur du monde d’aujourd’hui. Un genre pour un public chaque fois réinventé, jamais constant, mais attentif aux préoccupations du moment. Extraits.
En parlant du documentaire, Jean-Daniel Lafond, président de ces 4es Rencontres internationales du documentaire, soulignait la nécessité de se décaler de l’information pour mieux comprendre le monde. Si le genre documentaire reste un cinéma qui dénonce, et qui soulève les couches d’oignon de la réalité, on a besoin de l’emballage artistique, d’un regard de réalisateur. "On a besoin de fiction pour penser", a-t-il poursuivi. Ainsi, la poésie devient morbide quand le sujet est la mort chez le regretté documentariste Frank Cole (Life Without Death, The Mountenays), à qui l’on rend hommage; on a choisi l’espoir dans Que vivent les femmes! Vivre après – Paroles de femmes, de Laurent Bécue-Renard, superbe film d’ouverture sur l’après-guerre de Bosnie; et on peut faire une tragédie antique avec une mine de charbon dans Westray, un fait divers presque oublié, survenu dans une mine en N0uvelle-Écosse et qui avait tué 26 mineurs en 1992. Parce que la récession, le chômage, l’avidité des gros bonnets, l’accord tacite des gouvernements, le mutisme des inspecteurs, et le silence des travailleurs. Paul Cowan (Going the Distance) a fait un film où les fantômes reviennent hanter les vivants, en noir et blanc, avec des voix hors champ explicatives, bavardes et parfois cyniques comme un choeur antique qui se moquerait de la bêtise humaine. Il faut apprécier le genre dramatisation, ou plutôt, passer outre à cette façon peu courtoise de revivre le passé, et s’arrêter sur les héros: le chef d’équipe bafoué, le mineur héroïque qui est allé chercher les copains, et les veuves fragilisées… Le film est assez long et passionnant pour laisser monter la rage désirée par le réalisateur: celle que l’on a quand les riches et les élus deviennent des criminels et qu’ils s’en lavent les mains. (J. Ruer)
Ma chère Clara
En 1938, visitant sa famille à Varsovie, Clara Greenspan rencontre Chaim Blum. C’est le coup de foudre, et le mariage. Une semaine plus tard, Clara rentre à Montréal, pensant pouvoir parrainer l’immigration de son mari, mais elle apprend qu’un homme peut le faire, mais pas une femme… La Seconde Guerre mondiale éclate, et il faudra neuf ans aux époux pour se retrouver.
Neveu de Chaim Blum, Garry Beitel (Bonjour! Shalom!) a retracé, à l’aide de films d’archives, d’extraits de journal intime et de lettres échangées par le couple, la croisade entreprise par Clara pour rapatrier son mari. Ma chère Clara est une histoire exemplaire, mais aussi un hommage émouvant à la ténacité d’une amoureuse, qui permit aux femmes de parrainer un homme de leur famille. (É. Fourlanty)
Children Underground
Abandonnés ou orphelins, ils sont 20 000 enfants à vivre dans les rues de Bucarest, conséquence directe de l’interdiction, par le régime Ceausescu, de la contraception et de l’avortement. Children Underground, d’Edet Belzberg, décrit la vie d’une petite bande, vivant dans une station de métro du centre-ville. Ces enfants sauvages ont entre 8 et 16 ans, ils survivent comme ils peuvent, le nez dans un sac rempli de peinture, et les yeux sans âge.
C’est un film bouleversant. Un film dur, parce qu’il n’y a aucun enrobage, pas de discours rassurant, pas d’images apaisantes, pas de solution facile, comme le croit cette passante, pleine de bonnes intentions, qui amène deux enfants dans un centre d’accueil, et se fait réprimander lorsqu’on lui explique qu’elle ne peut les y amener contre leur gré. Les regards d’Anna, de Marian et des autres vous suivront longtemps. Âmes sensibles, ne pas s’abstenir. (É. Fourlanty)
Sea in the Blood
Avec un traitement poétique, sobre et direct, qui évoque celui du Singe bleu d’Esther Valiquette, Richard Fung évoque son parcours à travers l’histoire de sa famille: celle de sa soeur, morte à 29 ans, de la thalassémie, forme rare de leucémie, et celle de son chum, séropositif depuis 20 ans. Voix hors champ, photos de famille, home movies en Super-8, et commentaires défilant sur l’écran: Sea in the Blood est un album de famille à saveur universelle, réflexion lyrique sur la mort et le deuil. (É. Fourlanty)
Le Profit et rien d’autre
En moins d’une heure, Raoul Peck démonte et illustre les mécanismes du capitalisme sauvage, qui régit la planète. Le cinéaste de Lumumba enfonce-t-il des portes ouvertes? Peut-être, mais certaines vérités sont toujours bonnes à dire, surtout quand c’est fait avec autant de conviction. "Je viens d’un pays où les chiffres ne veulent plus rien dire", déclare le cinéaste d’origine haïtienne. "La satisfaction des besoins essentiels de la planète est estimée à 40 millions de dollars par an, soit à peine 4 % de la richesse cumulée des 200 plus grandes fortunes du monde." De Manhattan à Port-au-Piment, appuyé par des témoignages d’économistes, d’une pédiatre et d’un ingénieur agronome, Le Profit et rien d’autre montre brillamment à quel point "le capitalisme, c’est l’accumulation incessante de richesses". "Pourquoi faire des films?" se demande Raoul Peck. Pour que des films comme celui-ci existent. (É. Fourlanty)
Dolce
Cette production russo-japonaise d’Alexandre Sokourov (Moloch) se présente sous la forme d’une longue et déchirante élégie récitée par Mikho, la veuve de l’écrivain japonais Toshio Shimao (1917-1986), dont le roman L’Aiguillon de la mort a été adapté au cinéma en 1990 par Kohei Oguri. Mise en scène épurée, climat austère et rythme lent: armez-vous de patience! (M. Dumais)
Jean-Claude Labrecque, cinéaste du contemporain
Dans ce portrait réalisé par son fils Jérôme (Signe de vie), Jean-Claude Labrecque relate en toute simplicité sa petite enfance à Limoilou, sa passion pour la photographie, quelques anecdotes amusantes sur ses débuts à l’ONF et son itinéraire cinématographique. Il parle aussi de ses rencontres déterminantes avec Claude Jutra, Michel Brault et Gilles Carle.
Jérôme Labrecque entrecoupe les propos de son père par des archives, des photographies et des bribes d’entrevues. Des choix judicieux qui illustrent bien l’apport de Labrecque au cinéma québécois, bien que le déferlement d’extraits de films qui va en augmentant empêche de savourer pleinement la richesse de la photographie de ce grand homme d’images. Toutefois, l’exercice donne envie de (re)découvrir des oeuvres telles que La Nuit de la poésie, 27 mars 1970 ou Les Années de rêves (1984). (M. Dumais)
Rêves d’exil (Alham El Manfa)
Des garçons et des filles s’échangent des confidences candides ponctuées de fous rires, mais aussi des questions qui donnent froid dans le dos. "Pourquoi suis-je une réfugiée?" s’interroge la jeune Manar, qui vit dans un camp en Palestine. "Pourquoi étudions-nous si nous n’avons pas d’avenir?" demande l’un de ses camarades. Une fois de plus, la cinéaste américaine d’origine palestinienne Mai Masri (Les Enfants de Chatila) donne la parole aux enfants de l’Intifada. Sans porter de jugement, car les images parlent d’elles-mêmes. C’est au cours d’un projet de correspondance avec des écoliers palestiniens réfugiés au Liban que Manar fait la connaissance de Mona. Ce film montre en parallèle le quotidien des deux jeunes filles, qui se rencontrent lors des retrouvailles émouvantes de réfugiés de divers camps à la frontière libano-israélienne, sous l’oeil attentif des soldats israéliens. Seuls les fils barbelés les séparent. Dans leurs camps privés d’eau et d’électricité, ces jeunes Palestiniens vivent les mêmes tourments et les mêmes joies que tout autre adolescent, à la seule différence qu’ils vivent dans la peur de la prochaine tuerie. Images saisissantes et propos désarmants. (M. Dumais)
Rose’s Dream, 10 Years After (O sonho de Rose, 10 anos depois)
Rio Grande do Sul, novembre 1985: 1500 familles qui réclament les terres non exploitées des fazendeiros occupent la ferme d’Annoni. Un an plus tard, survient une grande réforme agraire, dont les répercussions traverseront les frontières du Brésil. En 1987, la cinéaste brésilienne Tetê Moraes, touchée par le Mouvement des Sans Terre (MST), tourna Land for Rose. Ce documentaire retraçait le combat de Roseli Da Silva, une jeune mère de trois enfants qui périt écrasée sous un camion lors d’une manifestation pacifiste. Dix ans plus tard, Moraes a voulu savoir ce qu’il était advenu du rêve de Rose. Alternant efficacement témoignages d’hier et d’aujourd’hui, la réalisatrice montre le courage et la détermination de ces modestes paysans, tout en faisant découvrir la noblesse de leur accomplissement. Engagé et humaniste. (M. Dumais)
Du 12 au 18 novembre
Cinémathèque québécoise
Cinéma ONF
www.ridm.qc.ca