Liam : Matière noble
Cinéma

Liam : Matière noble

Un film en mineur pour le cinéaste STEPHEN FREARS, une peinture parfois un peu trop simplette de l’entre-deux-guerres ouvrier; mais un style élégant qui fait passer les lourdeurs de la mise en scène.

La filmographie de Stephen Frears n’est pas une route droite et bien pavée. Elle ressemblerait plutôt à un chemin anglais un peu tortueux, qui offre de chaque côté et à chaque pas un paysage différent et toujours intéressant: on passe de l’Angleterre selon Hanif Kureishi avec My Beautiful Laundrette et Sammy and Rosie Get Laid, des films fortement inscrits dans leur époque, mais qui restent finement observés, à l’adaptation d’un classique (Dangerous Liaisons) et à un excellent polar sexy (The Grifters); puis de la grosse machine US (Hero) à une envie d’Irlande et d’Écosse (The Snapper, The Van et Mary Reilly), pour arriver à livrer un très séduisant compte rendu du High Fidelity de Nick Hornby, et à retrouver ses amours anciennes, la télé, avec un direct punché: Fail Safe. Pourtant, avec Liam, on a failli perdre l’intérêt. En fait, on le perd parfois, tellement on a l’impression d’avoir vu souvent ce genre de films. Or, même si Liam n’est pas sa production la plus marquante, on remarque toujours la façon de faire à la Frears, une sorte de touch of class; une finesse d’ébéniste, quel que soit le matériau. On reconnaît le sceau: un mélange de simplicité, d’économie, de franchise et de délicatesse. La patte est légère, et cela lui a valu d’être récompensé au dernier Festival de Venise.

Et le casting est bon: Liam est un petit garçon (Anthony Borrows) qui vit avec Mum (Claire Hackett), Dad (Ian Hart), le grand frère Con (David Hart) et la soeur chérie Teresa (Megan Burns) dans un quartier ouvrier de Liverpool, dans les années 30. Dad va perdre son boulot, et il met ça sur le dos des juifs. L’unité familiale, comme le tissu social et politique, va alors se détériorer. Ian Hart, on l’a déjà vu dans Land and Freedom de Ken Loach, The End of the Affair, ainsi que dans Harry Potter. Alors qu’on lui collerait volontiers le rôle de dandy souffreteux, il est ici capable de montrer le visage buté d’un ouvrier qui s’enferme dans sa souffrance, paumé dans sa perte de dignité. Impeccable. Il est entouré d’inconnus, dont le petit Liam, parfaitement choisi. Il semblerait qu’il y ait une tradition en Angleterre pour les films avec des enfants; une façon de traiter l’Histoire en paraboles, comme dans The Butcher Boy de Neil Jordan. Frears a trouvé le genre de visage qui fait se rappeler à quoi ressemblait l’enfance: effronterie et candeur mélangées, projetées en avant pour affronter un monde inconnu. Et tels sont le sujet et la forme du film: un style naïf, une explication simplifiée pour rendre compte d’un monde de plus en plus inquiétant, et où les adultes commencent à perdre les pédales.

Frears appuie sur les pistons de la société ouvrière de l’entre-deux-guerres, où l’on s’accroche à la religion comme à une bouée de sauvetage et où l’on est prêt à punir sans plus de procès ceux que l’on croit responsables de tous les maux. Le cinéaste en rajoute même, avec un prêtre terrorisant et rubicond; une maîtresse d’école bigote et dure; une famille juive et riche, et un prêteur sur gages qui aurait pu sortir d’une affiche de propagande. Presque une caricature. Alors que le mouvement de détérioration du moral paternel (qui va de pair avec le fascisme grandissant) est souple et discret, on comprend difficilement cette fin bâclée, où tout se bouscule beaucoup trop vite; et où les événements s’imbriquent si bien qu’ils en deviennent mécaniques et dénués d’émotion. Tenons-nous-en plutôt au début de cette histoire, menée avec délicatesse: durant plusieurs minutes, presque sans un mot, les enfants Teresa et Liam assistent à un réveillon du jour de l’An, aux préparatifs à la maison, à la fête au pub et au retour aviné à la maison. En quelques scènes, ponctuées par le sourire à fossettes de Liam, on observe comme l’enfant un monde uni, relativement heureux, mais qui peut, au quart de tour, se fissurer. À ce moment-là, l’équilibre est juste et tangible, et le cinéma raconte bien. Comme si, avec une foi enfantine, on se forçait à regarder le bon côté des choses, sachant que les tracas destructeurs sont déjà à l’oeuvre.

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