S.P.I.T. : Squeegee Punks In Traffic : La haine
Quand on est en voiture, qu’on attend à un feu rouge et qu’un squeegee nettoie le pare-brise, comment le voit-on? Impossible de le définir, on ne le remarque même pas. Daniel Cross a décidé de le regarder. Et il a fait ça avec une caméra. Jeune quarantaine, étudiant tardif, prof à mi-temps à Concordia et à l’Université de Regina, il est surtout l’auteur de trois films marquants: Danny Boy (1989), The Street: A Film With The Homeless (1998) et S.P.I.T.: Squeegee Punks In Traffic. De plus, sans parler des prix prestigieux et des critiques élogieuses, il est certainement l’un des cinéastes les plus intéressants en ce moment, dans ce pays.
Quand on est en voiture, qu’on attend à un feu rouge et qu’un squeegee nettoie le pare-brise, comment le voit-on? Impossible de le définir, on ne le remarque même pas. Daniel Cross a décidé de le regarder. Et il a fait ça avec une caméra. Jeune quarantaine, étudiant tardif, prof à mi-temps à Concordia et à l’Université de Regina, il est surtout l’auteur de trois films marquants: Danny Boy (1989), The Street: A Film with the homeless (1998) et S.P.I.T.: Squeegee Punks In Traffic. De plus, sans parler des prix prestigieux et des critiques élogieuses, il est certainement l’un des cinéastes les plus intéressants en ce moment, dans ce pays. Une seule raison suffit: ces films restent imprimés dans la tête. Cross a pour cela quelques talents, dont celui d’utiliser le temps comme une alliée (six ans pour faire The Street, trois ans pour S.P.I.T.), afin de se fondre dans le milieu de ses sujets, de comprendre les raisons, de partager les moments, et de miser sur l’évolution et sur l’énergie d’un personnage. Le temps et l’énergie, tout est là. Et c’est communicatif: on ne sort pas d’un film de Cross abattu. Enragé, peut-être, mais pas amorphe, et certainement pas englué de bienveillante pitié.
Cette-fois ci, c’est en partie attribuable à la présence d’Éric "Roach" Denis, squeegee, punk dans la rue depuis l’âge de 14 ans, anarchiste et grande gueule. "Au début, j’avais peur de faire toujours le même film, mais j’ai trouvé que Roach était articulé, intelligent, solide; il a des opinions sociales et politiques et une philosophie de vie", raconte Cross sur ce blondinet de 22 ans. Puis Cross a donné une caméra à Roach – devenue la Roachcam – pendant quatre ans, pour qu’il filme son monde. "Et il a presque tout filmé ce qu’on voit dans le film. Ensuite, il a pris le micro, et il est devenu plus organisé. Face aux politiciens, par exemple. Je ne voulais pas voir ce qu’il filmait, j’ai vu ça au montage. Je voulais qu’il se serve de la caméra comme d’un journal intime, qu’on entende sa voix au moment de l’action, dans un voice over plus direct." Sourire franc, des yeux comme des olives, c’est Roach et sa blonde; Roach et son copain Smash; c’est Roach saoul ou sur un high; c’est Roach qui fait la manche, qui se pique ou qui s’amuse au son de Deadly Pale; c’est lui encore qui rugit quand il a son premier dollar de la soirée, squeegee en main; c’est lui qui se paume à Québec, qui se fait casser la gueule et qui a une naïveté téméraire pour parler aux flics torontois ("aujourd’hui, êtes-vous des humains ou des uniformes?") en les traitant de fascistes. C’est Roach qui défile contre l’ordre établi, contre cette absurdité qu’est la cabale anti-squeegees.
Dans S.P.I.T., comme dans The Street, on se trouve à la même hauteur que des individus qui sont la plupart du temps considérés comme des poubelles. Mais la donne n’est plus la même pour le réalisateur. "Dans The Street, je filmais des vieux clochards irlandais, et j’étais le petit jeune. Là, c’est moi, le plus vieux, la figure paternelle. Ces gamins ont connu des abus, et je suis le mâle blanc, grassouillet et stéréotypé qui représente très bien les abuseurs ou les services sociaux. Mais ils m’ont utilisé et je les ai utilisés, nous étions en symbiose. Et je suis surtout content de la présence et de la confiance en soi de Roach, qui est en train de finir un documentaire lui-même." Une force tranquille et obstinée, ce Daniel Cross, qui fait en sorte que ses films soient vus sur grand écran, qu’ils n’aient pas une durée standardisée, et qui se considère comme un romantique à tendance Dziga Vertov, Kieslowski, Wintonick et feu Frank Cole. "Je ne me sens pas seul…", dit-il.
Grâce au montage nerveux, et aux images de la "Roachcam", le film a une facture hachurée que n’avait pas The Street. Là, dans des villes de nuit, toutes remplies de phares aveuglants, de voitures de flics et de zombies qui serrent leurs chiens contre eux, une caméra se balade, enregistre les cris et les souffles, saute sur de la musique punk et ne sait pas s’arrêter. Et la hargne passe à la bonne vitesse. Mais on retrouve l’énergie du film précédent, qui faisait, et qui continue de faire, des personnages principaux, les moteurs indispensables d’une société ghettoisante, et de la caméra, un outil particulièrement terrible. Lien entre un gars sur la go et un réalisateur engagé, bouée de sauvetage pour ne pas sombrer, journal intime qu’il ne faut pas perdre et loupe vicieuse: avec la Roachcam, on a vu ce qu’on ne voulait pas voir dans la réalité. Bien fait pour nous.
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