Un jeu d'enfants – Laurent Tuel : Les petits anges
Cinéma

Un jeu d’enfants – Laurent Tuel : Les petits anges

L’idée de départ d’Un jeu d’enfants, de Laurent Tuel, est bien simple: comment combattre le mal lorsqu’il adopte le visage d’un enfant aimé? L’écrivain Henry James en a fait un chef-d’oeuvre avec Le Tour d’écrou… Mais malheureusement, ce n’est pas le cas ici.

L’idée de départ d’Un jeu d’enfants est bien simple: comment combattre le mal lorsqu’il adopte le visage d’un enfant aimé? L’écrivain Henry James en a fait un chef-d’oeuvre avec Le Tour d’écrou… Mais malheureusement, ce n’est pas le cas ici. Marianne et Jacques forment le parfait petit couple bourgeois; leurs enfants, Julien et Aude, sont gentils, et la gardienne, dévouée. Tous quatre vivent dans la quiétude de leur foyer douillet, un héritage des parents de Marianne.

Lorsque les sombres Worms, un couple âgé formé d’un homme et de sa soeur, demandent de visiter l’appartement de leur enfance, Marianne n’y voit pas d’objection. Mais peu après, des événements inexplicables se produisent. Jacques perd la raison. Marianne est hantée par de douloureux souvenirs. La baby-sitter s’enlève la vie. Et si tout cela était la faute de ses enfants trop sages?

"Ce qui m’intéresse au cinéma, c’est la manipulation", répond sans hésitation le réalisateur Laurent Tuel quand on l’interroge sur son goût pour le fantastique. Son plus grand plaisir est de créer l’étrangeté dans la banalité, car, dit-il, "on projette nos peurs à travers des petits détails". Comme ces portes verrouillées dont Marianne et Jacques n’ont jamais eu les clés. Même pour son premier long métrage, Le Rocher d’Acapulco, de facture réaliste, il s’était amusé à trafiquer la bande-son pour semer le doute chez le spectateur. Jeune trentenaire, Tuel a consommé à l’adolescence des films d’horreur américains du type Slasher; mais l’inspiration vient surtout du côté littéraire: Poe, Stevenson, Barbey d’Aurevilly et Hoffman, ainsi que les surréalistes. Autant de lectures qui lui ont donné une "vision surréelle du monde" et qui l’ont amené à poursuivre dans cette veine au cinéma, puisque recréer le réel ne l’intéresse pas.

Grâce à la photographie granuleuse et aux éclairages bien étudiés, il se dégage une froide élégance et une sourde angoisse dans ce huis clos étouffant qu’on ne peut s’empêcher de comparer, entre autres, à Répulsion, The Shining, ou au récent The Others. À cela, Tuel rétorque que les comparaisons sont faciles et inévitables, puisque le genre fantastique est frappé d’images fortes, contrairement au cinéma d’auteur. Par ailleurs, il se défend bien d’avoir voulu faire des citations et des clins d’oeil.

Puisqu’il est si difficile de se démarquer dans cette voie, était-ce pour cette raison qu’il a approché deux représentants du cinéma français dit psychologique? "Je voulais prendre des acteurs qui soient bien connus, les faire partir d’une situation normale, pour ensuite les amener vers le fantastique." L’idée en soi n’est pas mauvaise: Karin Viard se révèle plutôt efficace, dégageant un mystère digne d’une héroïne hitchcockienne. Tuel a aussi voulu exploiter le côté burlesque en Charles Berling, dont le visage de clown triste lui rappelle celui de Buster Keaton. Toutefois, il est par moments pénible de voir Berling s’assujettir à ces pitreries.

En fait, le grand défaut du film reste le scénario. Tuel a réuni tous les clichés du genre sans se soucier de former un tout cohérent. Là où Polanski décrivait avec brio un cas de psychose obsessionnelle, Tuel présente deux cas de folie grossièrement ébauchés. La kleptomanie et la nymphomanie de Marianne n’amènent rien au récit; et la violence subite de Jacques semble gratuite. Alors que Kubrick avait su créer une lente progression dramatique des plus saisissantes, Tuel nous télégraphie le dénouement dès les premières scènes. Et vlan pour le suspense! Du début à la fin, les situations se succèdent sans transition ni modulation, tandis que le réalisateur ressasse des recettes éprouvées: visages effrayés, yeux écarquillés, cris étouffés, chuchotements inquiétants, un soupçon d’hémoglobine, dans l’ordre et dans le désordre! Sans oublier les cauchemars et les hallucinations, histoire de dérouter le spectateur – si celui-ci est toujours dans la salle. Et bien entendu, le tout est nappé de musique aux accords stridents. La totale.

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