Saint-Cyr : Petits soldats
Cinéma

Saint-Cyr : Petits soldats

Saint-Cyr était en compétition à Cannes en 2000, puis au FFM l’année dernière. Il débarque sans crier gare. Ouvre directe et personnelle, c’est l’Histoire revisitée. Ce serait dommage de le rater…

Saint-Cyr

, ou l’Histoire dynamitée. Avec le film de Patricia Mazuy, réalisatrice française qui déménage (le tendu Peaux de vaches), on est loin des falbalas de Vatel, et des dorures de Le Roi danse. Mazuy présente elle-même son film comme un Full Metal Jacket en jupons. Sans référence formelle à Kubrick, il faut plutôt y voir la froideur dans l’appréhension du sujet. La vision est militaire, spartiate, et ne s’embarrasse pas de sentimentalisme.

Saint-Cyr est aujourd’hui un collège militaire, situé près de Versailles; mais à la fin du XVIIe siècle, au milieu des marécages, il a été le rêve et le cauchemar de Madame de Maintenon. La Maintenon, courtisane en chef, puis épouse secrète de Louis XIV, décide de fonder une école pour éduquer de façon ludique et avant-gardiste les jeunes filles de la noblesse ruinée, afin d’en faire des femmes libres. Et le film commence ainsi, quand 250 jeunes filles et fillettes arrivent par charrettes, comme des recrues dans leurs nouveaux baraquements. Et là est la belle surprise de ce film étrange, fixe et sobre, qui vibre sur les notes de John Cale: Mazuy suit son point de vue, sans vouloir coller à l’authenticité. Paradoxalement, cela résonne de façon plus juste que n’importe quel livre d’histoire. Au lieu de faire le portrait chronologique de cette aventure pré-féministe, la réalisatrice en fait un drame psychologique fiévreux. Elle a choisi d’illustrer l’esprit de l’époque. Isabelle Huppert est la Maintenon, hautaine et glaciale bien sûr, mais aussi très inquiétante aux abords de la folie.

Car dans ce film, l’établissement de Saint-Cyr incarne le lieu de rédemption pour la vie de péchés de la Maintenon; et il deviendra son enfer: courtisane qui a acquis son pouvoir par les hommes, elle veut offrir aux femmes futures le pouvoir de décider seules de leur destin. L’utopie laïque de son projet se retournera contre elle quand elle s’apercevra qu’elle a façonné des petites séductrices, à son image: elle a créé des clone, et sa panique de la damnation, comme son orgueil du pouvoir, la rendra dangereuse pour les filles. Elle laissera donc ce modèle de modernité devenir couvent rétrograde, sous la gouverne d’un taliban de l’époque, l’abbé Godet des Marais (Simon Reggiani). Cette transition de l’utopie à la bigoterie se jouera dans les personnages de deux fillettes, Anne de Grandcamp et Lucie de Fontenelle (Morgane Moré et Nina Meurisse, excellentes), les doubles démoniaques et purs de la directrice.

Le plus fascinant dans ce récit est le moment exact où le paradis devient enfer; quand Racine (Jean-François Balmer) fait jouer Iphigénie par les élèves, devant le roi (Jean-Pierre Kalfon, amoureux las et calculateur) et la cour. Les hommes courtisent, les filles minaudent. L’art éclate alors comme cette force subversive et redoutable qu’elle devrait être. On aime aussi le rejet tacite des hommes devant ce pouvoir au féminin: Racine est distant et sceptique, et le roi – qui avait accordé la création de cette école pour adoucir la grogne de la noblesse – n’est pas mécontent que Maintenon se perde dans ses contradictions: cette promesse de liberté devenait par trop inquiétante. Et quand il offre des autruches en cadeau à l’établissement, ce n’est pas un geste anodin. Il envoie un message cynique: vous n’êtes que des autruches… Et l’art, comme la maladie qui rôde autour du bâtiment, dans les marais insalubres, vient miner le moral, et annoncer la mort.

On sent, comme on l’a rarement senti dans un film d’époque, l’extrême rudesse de ces temps guerriers qui cachaient mal la terreur derrière les rubans. Fanatisme religieux, peur panique de l’enfer, frustration féminine, pouvoir qui fait le mal en donnant l’illusion de faire du bien: les thèmes majeurs d’une époque qui va sortir de l’obscurantisme sont parfaitement explicites et finement joués. Dans cette puanteur, la maniaquerie de propreté de la Maintenon est une image forte, envie de pureté qui ouvre et clôt ce récit baroque.

Détail qui n’en est pas un: que ce film sorte au temps des Fêtes, sur les chapeaux de roues, comme une prévision de dernière minute, coincée entre Ali et Le Seigneur des anneaux, est une gestion de bureaucrates et non d’amoureux du cinéma.

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