In the Bedroom : Permis de larmes
Dans le sillage de La Chambre du fils de Moretti, TODD FIELD nous offre In the Bedroom, autre réflexion sur le deuil d’un enfant. Un premier long métrage qui passe le test.
Quand on demande à Todd Field pourquoi il s’est lancé dans le cinéma, la réponse fuse: "Je voulais rencontrer des filles!" Le cinéaste de 37 ans a débuté comme acteur, multipliant les petits rôles, avant de jouer dans Eyes Wide Shut; et il a tourné de nombreux courts métrages, croquis filmés comme des bouts d’histoires oubliés au fond d’un tiroir. C’est pendant le long tournage du film de Kubrick qu’il a écrit le scénario de ce premier long métrage, impressionnant de maîtrise, sur le deuil et le silence des familles.
Dans une petite ville côtière du Maine, la famille Fowler mène une vie paisible. Le père (Tom Wilkinson) est médecin, la mère (Sissy Spacek, meilleure actrice catégorie drame aux derniers Golden Globes) dirige une petite chorale, et leur fils unique (Nick Stahl) hésite entre une formation d’architecte et un boulot dans la région, afin de rester près de la femme qu’il aime (Marisa Tomei), de 10 ans son aînée, et mère d’un petit garçon. Ce tableau idyllique vole en éclats lorsque le jeune homme est tiré à bout portant par l’ex-mari de sa blonde, et que celui-ci est libéré sous caution, en attente de son procès.
De La Chambre du fils à A. I., en passant par Lise et André et Betty Fisher, la mort d’un enfant semble avoir été un thème récurrent pour de nombreux cinéastes, cette année. Perte symbolique de l’innocence ou crainte de sa propre mortalité? Laissons aux spécialistes l’analyse socio-psychologique, mais soulignons les ressemblances frappantes entre La Chambre du fils et In the Bedroom: même intrigue générale, même petite ville de bord de mer, même souci du détail dans la peinture d’une famille en deuil, même sensibilité évitant les écueils du mélo. "Je n’ai pas vu le film de Moretti, et j’ai écrit mon scénario avant lui!" affirme le cinéaste en rigolant. Mais là où l’Italien a ancré son récit dans le destin (la noyade du fils), l’Américain le situe dans la violence conjugale et dans les armes. "La résolution des conflits par la violence armée est un problème typiquement américain. Pourtant, en 2000, il n’y a pas eu un seul homicide dans le Maine, alors que c’est un des États où l’on retrouve le plus de permis d’armes." Todd Field sait de quoi il parle, puisqu’il vit dans le Maine. Cette réalité qui n’a rien de folklorique est un des aspects les plus solides de son film, la quiétude des lieux mettant en relief la violence de la situation.
Il mène son récit avec une assurance surprenante pour un premier film, surtout dans la peinture qu’il fait d’un couple que le deuil sépare, superbement interprété par Spacek et Wilkinson. "Ces personnages me rappelaient mes parents. Contrairement à ma génération, qui veut tout dire, ce qu’ils ne se disent pas est plus important que ce qu’ils se disent. Et quand ces deux personnages en disent trop, ça les dévaste parce qu’ils ne l’ont jamais fait."
Chronique juste et émouvante sur la difficulté de survivre, In the Bedroom souffre, hélas, de la comparaison avec l’oeuvre de Moretti, plus rigoureuse. Hormis ce parallèle "déloyal", c’est un remarquable premier film.
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