In the Bedroom / Todd Field : Préparez vos mouchoirs!
Cinéma

In the Bedroom / Todd Field : Préparez vos mouchoirs!

En filmant sobrement le deuil d’un couple confronté à la mort de leur fils unique, Todd Field a réalisé un remarquable premier long métrage, et donné à Sissy Spacek – Golden Globe en main – un de ses meilleurs rôles.

Quand on demande à Todd Field pourquoi il s’est lancé dans le cinéma, la réponse fuse: "Je voulais rencontrer des filles!" Boutade de circonstance pour un cinéaste de 37 ans qui refuse de se complaire dans la gravité dont il a empreint son premier long métrage. Rencontré au Festival des Films du Monde 2001, Todd Field, musicien de formation, raconte qu’il a débuté dans le milieu par hasard, d’abord comme acteur, en multipliant les petits rôles (entre autres avec Woody Allen), avant de jouer dans Eyes Wide Shut. Il a également tourné de nombreux courts métrages, dont Nonnie et Alex, qui lui a valu un Prix spécial du jury à Sundance en 1995, et plusieurs esquisses, amorces d’histoires et réflexions éparpillées, tournées à la sauvette; croquis filmés comme on écrit des bouts d’histoires qui restent au fond d’un tiroir. C’est pendant le long tournage du film de Kubrick que Todd Field a écrit le scénario d’In the Bedroom, premier long métrage impressionnant de maîtrise, sur le deuil et le silence des familles.

Dans une petite ville côtière du Maine, la famille Fowler mène une vie sans histoire. Le père (Tom Wilkinson) est médecin, la mère (Sissy Spacek) dirige une petite chorale, et leur fils unique (Nick Stahl) hésite entre une formation d’architecte et un boulot dans la région, afin de rester près de la femme qu’il aime (Marisa Tomei), de 10 ans son aînée, et mère d’un petit garçon. Ce tableau idyllique vole en éclats lorsque le jeune homme est tiré à bout portant par l’ex-mari de sa blonde, et que celui-ci est libéré sous caution, en attente de son procès.

De La Chambre du fils de Moretti à A. I. de Spielberg, en passant par Lise et André de Denis Dercourt et Betty Fisher et autres histoires de Claude Miller, la mort d’un enfant semble avoir été un thème récurrent pour de nombreux cinéastes, l’an dernier. Perte symbolique de l’innocence ou crainte de sa propre mortalité? Misons sur ces hasards qui n’en sont pas vraiment, sur ces correspondances qui lient les oeuvres de créateurs vivant aux quatre coins de la planète… Laissons aux spécialistes les savantes analyses sociopsychologiques, mais soulignons les ressemblances frappantes entre La Chambre du fils et In the Bedroom: même intrigue générale, même petite ville de bord de mer, même souci du détail dans la peinture d’une famille en deuil, même sensibilité évitant les écueils du mélo.

"Je n’ai pas vu le film de Moretti, et j’ai écrit mon scénario avant lui!" affirme le cinéaste en rigolant. Mais là où l’Italien a ancré son récit dans le destin (la noyade du fils), l’Américain le situe dans la violence conjugale et dans les armes. "La résolution des conflits par la violence armée est un problème typiquement américain, souligne-t-il. Pourtant, en 2000, il n’y a pas eu un seul homicide dans le Maine, alors que c’est un des États où il y a le plus de permis d’armes." Todd Field sait de quoi il parle, puisqu’il vit dans le Maine. Cet ancrage dans une réalité qui n’a rien de folklorique est d’ailleurs un des aspects les plus solides de son film, la quiétude des lieux mettant en relief la violence de la situation.

Inspiré d’une nouvelle d’Andre Dubus, le scénario de Todd Field et de Robert Festinger s’articule autour de trois volets égaux, bien distincts: les jours heureux, le deuil de la famille, et la résolution du conflit. Un parcours remarquablement conséquent dans son unité de ton, mais qui ménage pourtant de nombreuses surprises. En effet, alors qu’on croit assister à une tranche de vie, finement observée mais anodine, le film verse dans une tragédie, sobre et poignante; et, une fois qu’on est bien installé dans l’émotion dramatique, In the Bedroom prend des couleurs bergmaniennes, conflits moraux et problèmes de couple à la clé.

Bien que la partie finale (qu’on ne dévoilera pas ici…) soit la plus faible, Todd Field mène son récit avec une assurance surprenante, surtout dans la peinture qu’il fait d’un couple que le deuil sépare, magistralement interprété par Spacek et Wilkinson. "Ces personnages me rappelaient mes parents, confesse le cinéaste. Contrairement à ma génération, qui veut tout dire, ce qu’ils ne dévoilent pas est plus important que ce qu’ils se disent. Et quand ces deux personnages parlent trop, ça les dévaste parce qu’ils ne l’ont jamais fait."

Chronique juste et émouvante sur la difficulté de survivre, In the Bedroom souffre, hélas, de la comparaison avec le film de Moretti, plus rigoureux. Hormis ce parallèle "déloyal", c’est un remarquable premier film.

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