Betty Fisher et autres histoires – Claude Miller : Les enfants du désordre
Cinéma

Betty Fisher et autres histoires – Claude Miller : Les enfants du désordre

Mêlant humour noir et tragédies familiales, Claude Miller s’est amusé comme un petit fou à bâtir le canevas tortueux de Betty Fisher et autres histoires. Et a donné, à Nicole Garcia, un rôle taillé sur mesure pour son retour à l’écran.

Quand, dans un film de Claude Miller, on voit un petit garçon jouant dans sa chambre, et un moineau s’ébrouant à la fenêtre, on se dit que ça va mal finir…

En effet, Betty Fisher et autres histoires démarre sur la mort accidentelle du gamin. Sa mère (Sandrine Kiberlain), jeune divorcée à l’enfance foutue en l’air par une mère cinglée, est l’auteure d’un premier livre très populaire. Son deuil, dans une grande maison qu’elle vient d’acheter, est perturbé par la visite de sa mère (Nicole Garcia), toujours aussi folle, et qui veut se racheter en volant un enfant dans la rue, et "l’offrir" à sa fille. Parallèlement, la mère du gamin disparu (Mathilde Seigner) se débat pour joindre les deux bouts, entre un amant soupçonné de l’enlèvement (Luck Mervil) et un bienfaiteur douteux (Yves Jacques). Aux tribulations de ces trois mères dissemblables, se grefferont celles d’un ex-mari vénal, d’un petit truand, d’un flic à la mémoire longue, d’un médecin amoureux, et de quelques autres humains, jouets du hasard.

Présenté en première mondiale au Festival des Films du Monde, Betty Fisher… est une coproduction franco-québécoise (musique de François Dompierre), et le 11e film d’un cinéaste français, qui, depuis plus de 15 ans, accompagne la sortie de chacun de ses films de ce côté-ci de l’Atlantique. Moins d’un an après le superbe La Chambre des magiciennes, le réalisateur de L’Effrontée et de La Classe de neige signe une réjouissante comédie noire en forme de suspense psychologique. C’est après avoir vu La Cérémonie, de Chabrol, tiré d’un livre de Ruth Rendell, que Miller s’est intéressé au travail de la romancière britannique, et a adapté, avec Sylvie Koechlin, Un enfant comme les autres. "C’est la même histoire, sauf que le livre se passe à Londres, dans les années 70, et que l’enfant tombe malade avant de mourir. Mais je ne voulais pas prendre le spectateur en otage avec un personnage d’enfant malade."

Miller ne prend peut-être pas le spectateur en otage, mais il le manipule à loisir, avec une structure complètement éclatée, héritée de celle du livre, petite machine dramatique où le destin a le dernier mot, et lie des trajectoires parallèles. "Le film engendre sa propre mécanique comme une horloge. Il n’y a qu’au cinéma qu’il y a autant de coïncidences. Ça fait partie du jeu, c’est un peu à prendre ou à laisser. Il faut accepter de se laisser faire." D’où l’utilisation de cartons intercalés, procédé un peu superflu, mais que le cinéaste revendique pleinement. "C’était pour installer clairement le système du film, explique-t-il, et pour que ce soit plus confortable pour le spectateur." Confortable pour la compréhension du récit, peut-être, mais certainement pas dans ce qu’il raconte. Sous ses allures anodines, Betty Fisher… est fidèle à l’univers de Miller, monde de violences sourdes, de culpabilités étouffantes, d’angoisses névrotiques, et où la famille pèse lourd. "C’est Jules Renard, je pense, qui a écrit: "La famille, c’est ceux qui nous aiment, et que nous aimons. Le reste ne veut pas dire grand-chose." La gestion de l’héritage familial est au coeur du film: on peut – un tout petit peu – choisir ses enfants, mais ses parents, jamais. C’est un film qui parle de choses douloureuses, mais il y a beaucoup d’humour."

Est-ce la cure de jouvence provoquée par La Chambre des magiciennes, tournée en digital et avec une équipe réduite, qui déteint sur ce film-ci? Toujours est-il qu’on sent le plaisir que Miller a eu à fabriquer Betty Fisher…, un travail d’orfèvre, qui s’amuse à tricoter une histoire tortueuse, et tout à fait amorale. Une femme qui s’approprie l’enfant d’une autre. Une jeune mère – indigne ou impropre à la maternité? – qui semble s’accommoder de la disparition de son fils. Mine de rien, Miller nous place face à ces personnages en dehors de la morale, et s’amuse à mêler les cartes. On pense inévitablement à Hitchcock lorsqu’on songe à ce jeu de manipulation du spectateur. "Dès l’écriture, j’ai envisagé Nicole Garcia, et là, j’ai pensé à Hitchcock. Je voulais une belle grande femme, blonde et solaire, pour qu’il y ait une filiation physique avec Kiberlain. Avec Nicole, on se disait toujours que c’était une histoire d’amour, un rachat par rapport à l’enfance qu’elle a donnée à sa fille. C’est impossible de trouver son personnage sympathique, mais il fallait qu’on ait des réactions ambiguës."

On n’avait pas vu Nicole Garcia au grand écran depuis 1993, dans Aux petits bonheurs. Consacrant désormais son temps à la réalisation (Le Fils préféré, Place Vendôme) et au théâtre (Scènes de la vie conjugale, pendant deux ans, sur une scène parisienne), la comédienne fait un retour marquant, dans ce rôle taillé sur mesure. Marchant sur la corde raide entre caricature et naturalisme, elle compose un incroyable personnage de femme dérangée, qui, dans la salle, suscite autant la réprobation, l’incrédulité que les rires. Quant à Luck Mervil, c’est une révélation, dans ce rôle d’un bon gars intègre. "Je ne le connaissais pas du tout, confie Miller, alors, on a fait des essais, et il était excellent. C’est un très bon acteur, il a une grande honnêteté de regard."

Avec, dans ses cartons, une adaptation moderne de La Mouette, et un scénario, "plutôt comique", de Jackie Berroyer, sur la disparition d’un président évoquant de Gaulle, Claude Miller est parti sur une belle lancée.

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