Platform : Train de vie
Cinéma

Platform : Train de vie

Platform est une chanson pop sur l’attente qui a connu un grand succès dans les années 80, en Chine. C’est ce titre qu’a retenu Jia Zhang-ke (Xiao Wu, Artisan Pickpocket, 1997) pour son deuxième long métrage, dans lequel il raconte les lendemains de la grande révolution, par le biais des histoires d’amour de quatre jeunes membres d’une "brigade culturelle".

Platform

est une chanson pop sur l’attente qui a connu un grand succès dans les années 80, en Chine. C’est ce titre qu’a retenu Jia Zhang-ke (Xiao Wu, Artisan Pickpocket, 1997) pour son deuxième long métrage, dans lequel il raconte les lendemains de la grande révolution, par le biais des histoires d’amour de quatre jeunes membres d’une "brigade culturelle". L’action débute en 1979, à Fenyang, un petit village à l’ombre de la Grande Muraille, dans la province de Shanxi. Une troupe de théâtre interprète une chanson à la gloire du Grand Timonier en imitant le son du train devant un public indifférent. Dans l’autobus qui les ramène à la maison, le directeur de la troupe juge que le train n’était guère convaincant, et pour cause: les jeunes artistes n’ont jamais entendu de train. Le réalisateur s’attache au destin de cette troupe de campagne pendant 10 ans, jusqu’à la manifestation sanglante de la place Tianan men, événement rapporté par haut-parleur.

Pour illustrer ce passage sous influence occidentale, Jia Zhang-ke utilise très peu de gros plans; il filme ses acteurs de loin, de façon contemplative, se servant de longs plans fixes qui traduisent la lenteur du temps. Les jeunes couples se rencontrent, mais se tiennent éloignés l’un de l’autre, grillant fébrilement leur cigarette; de lourds et longs silences ponctuent leurs dialogues. Dans les intérieurs étroits et faiblement éclairés, les familles entassées se déchirent. Au loin, les rumeurs des rues poussiéreuses se font entendre. Le spectateur doit faire preuve d’une grande patience…

Les repères temporels sont disséminés subtilement, ce qui n’est pas forcément une mince affaire dans un film de 155 minutes. Les garçons troquent le costume traditionnel contre les pattes d’ef; les filles délaissent les tresses pour les cheveux permanentés. Les jeunes écoutent les chansons pop de Taiwan; les filles parlent maquillage… et exécutions. On découvre les autres cultures par le biais du cinéma. La Chine des grandes réformes politiques de Deng Xiaoping s’ouvre peu à peu; et la brigade culturelle se transforme en troupe ambulante à but lucratif. Finies les odes à Mao: on adapte en mandarin des tubes anglophones qui racontent des romances à l’eau de rose.

Toutefois, le passage d’un régime à l’autre ne se fait pas sans heurt. Un jeune illettré va risquer sa vie à la mine afin que sa soeur puisse aller à l’université; un groupe de jeunes gens scande des slogans prônant la politique d’un seul enfant par famille. Mais devant l’énergie dérisoire des artistes, les spectateurs demeurent indifférents. S’inspirant de ses souvenirs de jeunesse, Jia Zhang-ke rend compte du conflit générationnel qui oppose les aînés, conscients de la crise sociale créée par l’essor économique, et les jeunes, plus préoccupés par leur ambition personnelle que par le sort du pays. Présente dans la toute dernière scène de ce film (qui semble a priori défaitiste), l’endurance de la jeunesse laisse cependant poindre une lueur d’espoir.

Platform, récipiendaire de prix prestigieux, dont celui du scénario lors du dernier FCMM, s’avère un portrait nuancé de la morne existence d’une génération sacrifiée. Cependant, la mise en scène minimaliste et le lent déroulement du récit risquent d’en rebuter plus d’un.

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