Les Rendez-vous du cinéma québécois – 20 ans : Le temps d'une pause
Cinéma

Les Rendez-vous du cinéma québécois – 20 ans : Le temps d’une pause

Rétrospective, échanges culturels, primeurs et sélection, lieu d’échange, et courroie de transmission entre générations: l’événement qui salue le cinéma québécois grossit, il a 20 ans, et devient une institution. Transition en douceur ou en douleur? Le plus important est toujours d’aller voir les  films…

Il faudra un gros gâteau cette année pour souffler toutes les bougies, celles de tous les anniversaires de la planète cinéma au Québec. Les Rendez-vous, grand rassemblement québécois de la production cinématographique de l’année, fête ses 20 ans. Une maturité encore jeune. On en profite aussi pour souligner les 25 ans de Cinéma Libre, distributeur de films indépendants, et les 25 ans de la Coop Vidéo, centre de production plus actif que jamais. Pour leur quart de siècle, Cinéma Libre propose une projection gratuite de son premier titre distribué: L’Eau chaude, l’eau frette, d’André Forcier. Quant à la Coop, elle fête en grand, avec un concert, mais surtout avec le lancement d’un coffret DVD de l’ensemble de l’oeuvre de Robert Morin et d’une publication signée Jean-Pierre Boyer, Fabrice Montal et Georges Privet: Moments donnés – Robert Morin: entrevues. Profitons-en pour revoir en projection (gratuitement, toujours) deux des oeuvres les plus marquantes de Morin: Le voleur vit en enfer et Yes Sir! Madame…

Regards en arrière
Les Rendez-vous ont 20 ans, et ils sont très polis. Ils s’occupent de leurs aînés. Signe de maturité qui englobe enfin toute la richesse culturelle du septième art d’ici ou regard trop accroché au rétroviseur? On remarque que si la relève est saluée, on encense copieusement les talents d’hier. Les Rendez-vous, c’est un peu une machine à remonter le temps: en ouverture, on présente Snooze, un court métrage de Stéphane Lafleur, membre de Kino; mais aussi un excellent documentaire de Denis Chouinard, Voir Gilles Groulx, qui trace le portrait du militantisme fait homme, d’un cinéaste engagé dans son époque, à l’âge d’or où l’ONF brillait. Ce film rappelant la nécessité d’un absolu en création fait partie des trois coffrets de la nouvelle édition de la Collection Mémoire, consacrée à l’oeuvre de Gilles Groulx. À se procurer absolument. Le film de Chouinard sort en salle le 22 mars. Également, une première pour le prochain film de Rodrigue Jean, Yellowknife (en salle le 1er mars); plus un volet Regard sur la relève au Saguenay, et une programmation jeunesse (avec films et ateliers scénarios). Parallèlement, on tire son chapeau à Jean-Claude Labrecque, cinéaste et directeur-photo respecté, qui présente sa dernière oeuvre qui, elle aussi, est un lourd retour sur l’aventure du RIN. Autant pour pleurer avec Andréa Ferretti que pour l’éveil des consciences. Et en clôture, Jean-Philippe Duval offre un Wow 2, 33 ans après le Wow de Claude Jutra sur les questionnements d’adolescents durant la révolution tranquille.

Voilà donc une sérieuse tendance à regarder en arrière. Il y a deux écoles: le boudeur y verrait une fâcheuse habitude de nostalgie galopante, alors que le jovial préfère y voir l’indicateur d’un terreau culturel vivant…

Enfin, l’année fut faste, profitons-en. Leclerc, Falardeau, Turpin, Chouinard, Martin, Pool, Saïa, Émond, etc.: nommez-les, ils nous ont tous donné une oeuvre en pâture. C’est donc l’occasion de voir et revoir 22 longs métrages, en plus des 53 courts, des 14 films d’animation, des 48 oeuvres d’art et d’expérimentation, et des 50 documentaires sélectionnés (dont deux primeurs, Les Conteurs de vues animées, de Richard Jutra, sur l’histoire du cinéma québécois; et Les Chercheurs d’or, de Bruno Baillargeon, sur les glaneurs made in Québec). On pourra voir également quatre films de Thécif (Théâtre et Cinéma en Île-de-France) et des oeuvres de Catalogne, dont le dernier de Ventura Pons (Anita a une chance) et le superbe Pau et son frère, de Marc Recha, qui avait été présenté à Cannes.

Ça fait pas mal d’à-côtés pour un événement qui a encore pour mission de faire une rétrospective de la production annuelle… Car tranquillement, Les Rendez-vous semblent changer d’orientation: la programmation n’est plus exhaustive depuis cinq ans, la sélection fait même des blessés (ça râle notamment du côté de Julian Samuel, réalisateur de The Library in Crisis – film refusé -, qui monte encore aux barricades pour que le comité de sélection des Rendez-vous soit le reflet multiculturel de la société québécoise; de Mary Ellen Davis qui, par solidarité, a retiré son documentaire Le Pays hanté; de Borza, auteur de Poison d’avril…); on fait des échanges avec la France et la Catalogne; on sert de tremplin à des primeurs: rétrospective ou mini-festival, Les Rendez-vous? Nous avons demandé à Ségolène Roederer, directrice de l’événement, et aux réalisateurs Denis Chouinard et Catherine Martin de faire le point cinéma en trois questions:

Les Rendez-vous changent: mais vers quoi?
"Je dirais qu’on veut ouvrir Les Rendez-vous et qu’on veut rendre plus visible ce qui existe déjà. Comment devenir un événement public plus percutant et représenter le mandat des Rendez-vous? La situation a changé, il y a plus de productions par année. Tout le monde tourne! On ne peut pas tout montrer, mais on veut représenter toutes les sortes de cinéma. Mi-rétrospective, mi-festival? On va se pencher sur le devenir des Rendez-vous après cette édition." Ségolène Roederer.

"Avant, il n’y avait qu’une rétrospective; et simplement revoir des films, ce n’est pas intéressant. C’est devenu maintenant un lieu d’échange. Il peut y avoir un dialogue intergénérationnel et un dialogue avec le public. La sélection est essentielle, on garde les films les plus pertinents. Avant on se nuisait, il n’y avait personne dans les salles, parce qu’il y avait du n’importe quoi. Et si ça devient un festival, le public va y trouver son compte. Il faut dénicher une bonne formule pour amener les cinéastes à venir aux Rendez-vous, et ranimer le goût du cinéma québécois dans le public: ce n’est pas normal que les gens soient si attachés à leurs vedettes maison au petit écran, alors qu’ils supportent l’hégémonie américaine au grand écran!" Denis Chouinard.

"J’ai toujours été partisane d’une vraie rétrospective. Mais on ne peut pas inclure tout le monde. Les reportages dits documentaires, les films télé ne sont pas nécessaires, mais vu la prolifération, Les Rendez-vous ont de la difficulté à se définir. Au début j’étais étonnée qu’ils invitent des cinémas de l’extérieur. Mais des échanges, pourquoi pas? Je ne sais pas s’il faut l’appeler festival cependant: une sélection, oui, mais orientée avec le public." Catherine Martin.

Y a-t-il la nécessité d’un cinéma national?
"Oui, et c’est particulièrement vrai aujourd’hui, parce que le cinéma est vraiment une industrie. Il faut une cinématographie qui se connaît et qui s’aime; et tout ce qui va venir combler le fossé entre le public et son cinéma est le bienvenu…" Ségolène Roederer.

"Je considère qu’on fait des films pour les gens autour de nous. Mais cette réalité peut toucher les autres; notre cinéma peut être un outil de promotion, comme le cinéma iranien. Il faut aussi une politique nationale forte pour contrer le mercantilisme. Là, c’est diviser pour mieux régner. C’est dommage, on y perd son âme…" Denis Chouinard.

"Pas de doute. Et c’est plus qu’une nécessité; sinon, on perd une manière de s’exprimer." Catherine Martin.

Quelle est la force du cinéma québécois aujourd’hui?
"Le professionnalisme des artisans. Et un certain éclectisme, avec des cinéastes citoyens du monde. Mais malheureusement, on ne se pose plus tellement de questions sur sa propre société, ce qui était la spécificité du cinéma d’ici." Ségolène Roederer.

"Nous sommes les enfants du cinéma direct. Ce que les Canadiens anglais n’ont pas. Et nous avons un terroir culturel exceptionnel." Denis Chouinard.

"La diversité. On fait des films tous différents et toutes les générations en font en même temps. Et cette pluralité-là existe sans qu’on ait encore augmenté le budget des films!" Catherine Martin.

Les 20es Rendez-vous du cinéma québécois, du 15 au 24 février.

Les projections ont lieu au cinéma ONF, à la Cinémathèque québécoise, au cinéma Le Beaubien et à la Maison Théâtre. Les billets sont en vente à la Cinémathèque et à l’ONF. Pour de plus amples informations: (514) 526-9635 ou http://www.rvcq.com.