No Man’s Land : Jour de gloire
Quand on réduit la guerre à un conflit entre deux personnes, et un pays ravagé à une tranchée, on diminue le temps de souffrance, mais on l’intensifie. En pressant, on distille de l’extrait de guerre. Le bruit d’une tourelle de char qui s’ajuste avant de tirer n’a jamais été aussi inquiétant… Danis Tanovic, Bosniaque et Belge vivant en France, cinéaste documentaire et ex-soldat, a donné sa version de l’éclatement de la Yougoslavie.
Quand on réduit la guerre à un conflit entre deux personnes, et un pays ravagé à une tranchée, on diminue le temps de souffrance, mais on l’intensifie. En pressant, on distille de l’extrait de guerre. Le bruit d’une tourelle de char qui s’ajuste avant de tirer n’a jamais été aussi inquiétant… Danis Tanovic, Bosniaque et Belge vivant en France, cinéaste documentaire et ex-soldat, a donné sa version de l’éclatement de la Yougoslavie. Et ça pourrait avoir des résonances de Path of Glory, avec la verve fataliste d’un Kusturica. En tout cas, il a choisi la bonne recette: de Rotterdam à Sao Paulo, en passant par les Golden Globes, No Man’s Land a gagné les prix du meilleur film étranger. Et il est en nomination aux Oscars. Mais la course folle avait commencé à Cannes avec le prix du meilleur scénario. Une histoire qui va droit au but, comme une blague courte. Ciki le Bosniaque (Branko Djuric) et Nino le Serbe (Rene Bitorajac) se retrouvent coincés dans une tranchée en territoire neutre, avec un Bosniaque allongé sur une mine qui menace d’exploser, et leurs armées respectives pétrifiées. Pas d’autres choix que de faire appel à la FORPRONU, Force de protection des Nations unies; et aux médias. Et ça vire en eau de boudin.
On peut faire Black Hawk Down, ou l’on peut faire No Man’s Land. Pour comprendre la guerre, le second est plus efficace: ceci n’est pas une épopée, et l’on parle d’absurdité avec humour. Deux opposants qui parlent la même langue et qui viennent du même coin, un gars allongé qui, s’il va aux toilettes, signe son arrêt de mort: on peut rire du gâchis. Tanovic reste tendre envers ses compatriotes; mais il l’est beaucoup moins envers l’ONU. Douche froide: à la FORPRONU, Simon Callow préfère les échecs et sa blonde; et les Schtroumpfs sont des soldats bleus frustrés, embarrassés de leur non-action et bloqués par le barrage des langues. L’inutilité de leur rôle éclate, aussi risible que méprisable. Par contre, les médias – même en faisant leur cirque – n’ont pas le mauvais rôle. On sent que Tanovic reconnaît que ce conflit a été exposé aux yeux du monde, et que s’il ne l’avait pas été, on y serait peut-être encore.
La charge est directe, franche et évidente. Ce côté réduction d’un conflit, en s’imposant unité de temps (une journée) et unité de lieu, amène forcément à tourner les coins ronds. Rapidement, il fallait que les soldats aient l’air sympathiques, d’où un dialogue vite amené; il fallait que l’ONU soit pathétique, d’où la caricature. Mais Tanovic a très bien construit son drame, trouvant le ton juste, et chaque scène est nécessaire. Tout comme les deux trous rouges du Dormeur du val de Rimbaud peuvent être frappants, la vision d’une mine fiche une trouille incroyable.
On pourrait croire dans cet exposé que Tanovic ne prend pas partie, que les types coincés vivent à la même enseigne. Mais, deux Bosniaques au lieu d’un, une intro et une fin bosniaques; et cette image symbolique d’un pays qui ne peut pas bouger parce qu’il est couché sur une mine: cela s’appelle afficher ses couleurs en finesse. C’est le coeur qui parle.
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