Images du Nouveau Monde : Amère America
Cinéma

Images du Nouveau Monde : Amère America

Fort d’une programmation convaincante, le festival du cinéma panaméricain Images du Nouveau Monde propose, par le biais de flims-chocs, une vision à la fois lucide et sévère des Amériques. Rencontre avec le désespoir au quotidien.

Le désenchantement. Un sentiment qui traduit bien le constat de nombreux penseurs des Amériques; ceux qui, comme les romanciers Paul Auster et Don DeLillo par exemple, témoignent de l’échec du rêve. La promesse d’une société de loisirs est un mensonge, la Cadillac de l’espoir tourne à vide.

Parmi les longs métrages au programme d’Images du Nouveau Monde, plusieurs ont pour trame de fond cette perte des illusions, le rejet d’une société unidimensionnelle qui ne cultive le bon goût ni la recherche de qualité, qui conçoit une technologie aux avancements exponentiels sans imagination, dans le simple but de faire tourner la roue de la consommation à outrance. Et au sud de la frontière états-unienne, le désespoir de ceux qui n’ont rien, qui voient briller le diadème du nord avec l’envie de s’extirper d’une vie d’ennui et de turpitudes. Ils sont les désoeuvrés d’un tiers-monde "civilisé" se sentant comme l’âne qu’on ferait courir, une carotte au bout d’un bâton.

Vie fantôme
Dans une Amérique en décomposition qui se ment à elle-même, les deux protagonistes du Ghost World de l’Américain Terry Zwigoff (fiction s’inspirant de la célèbre bd de Daniel Clowes) vivent dans le dédain de leurs semblables, incapables de faire face au monde, préférant se réfugier dans un univers futile en marge de la vie d’adulte. L’une choisissant l’indépendance et l’autre refusant d’envisager l’avenir, leur amitié s’ébrèche et leur solitude devient accablante.

Malgré son image rutilante, le rêve qui anime leurs semblables les laisse de glace et les deux amies préfèrent se réfugier dans leur monde plutôt que de faire face à l’horreur de la vie normale promue par la société. Pourtant, leur rébellion s’avère rapidement inutile, la bataille contre Goliath semble perdue d’avance.

No Future
Plus près d’ici, Roach et ses amis punks tentent tant bien que mal de gagner leur vie en nettoyant les pare-brise des voitures aux feux rouges des carrefours de Montréal. Caméra à la main, Roach raconte l’abandon, sa jeunesse dans les centres d’accueil, "des prisons pour enfants", et son entrée dans le monde de l’itinérance et des drogues dures.

Avec S.P.I.T. (Squeegee Punks in Traffic), le réalisateur Daniel Cross emprunte la voie du documentaire avec une caméra-réalité qui choque par son authenticité, par son esthétique du vrai sans fard, sans filtre. Éric "Roach" Denis, à la fois sujet, cameraman et coréalisateur, incarne le no future des Sex Pistols dans toute son indignation devant le monde dévasté par une génération cupide, déshumanisée. "Il n’y a plus d’espoir, affirme-t-il lors d’une entrevue téléphonique, on a atteint un point de non-retour, la terre est ultra-polluée, les forêts sont détruites. Ce qui me rend punk, anarchiste, c’est l’écoeurement de tout ça, les animaux élevés dans des conditions dégueulasses, industrialisés, les laboratoires, les McDonald’s qui nous empoisonnent…"

Au long du film, Roach introduit ses compères de Québec, Montréal et Toronto, punks pour la plupart, tous en rupture avec la famille et l’establishment, traînant leur histoire d’horreur personnelle, leur propre descente aux enfers. "You made me like this", lance Roach aux Mel Lastman et Mike Harris de ce monde qui croient pouvoir éradiquer la pauvreté en la soustrayant au regard. "On vit dans une société dégueulasse avec des gens qui agissent de façon dégueulasse, beugle-t-il à l’autre bout du fil, indigné. C’est les plus vieux qui ont bâti ce système-là… C’est eux qui ont industrialisé, privatisé, etc. Je ne suis pas coupable, ce n’est pas ma génération qui a mis le monde dans le trou, c’est la leur!"

Ne restent que la contestation et la fuite, cette dernière passant par l’utilisation de drogues comme seul exutoire devant l’absurdité d’une vie que la lucidité rend insoutenable. "La drogue, c’est un filtre pour la réalité, elle est faite pour te faire voir la vie en rose, au moins pour quelques minutes, pour te faire oublier", conclut-il sur un long silence.

La réalité tronquée
Universitaire et chercheur, Steve Mann travaille depuis 20 ans à la fabrication d’un costume cybernétique qui lui permet de voir le monde à travers un autre filtre, celui de la digitalisation des images: sa vision pixellée d’un univers dans lequel il se sent perdu, marginalisé depuis l’enfance.

Produit pour l’émission The Nature of Things de David Suzuki à la CBC, Cyberman présente un homme étrange qui ne conçoit ce qui l’entoure qu’en formules mathématiques et physiques, qui s’insurge devant le manque d’imagination des corporations et leur intrusion dans la vie privée des individus.

Étrangement, son propos rejoint celui de Roach et son combat, certes mené avec moins de véhémence, n’en demeure pas moins anarchique. Selon Peter Lynch, le réalisateur de ce documentaire qui prend parfois des airs de science-fiction, Steve Mann est une forme évoluée du cyberpunk: "En effet, il y a un aspect dans l’esthétique du personnage qui correspond à l’image du cyberpunk. Son besoin de contrôler son espace personnel dans un monde qui l’assaille constamment, qui fait que nous fonctionnons déjà comme des cyborgs. Steve Mann est un délinquant créatif et ce côté anarchiste de sa vision du monde est très séduisante."

Alors que Roach cherche à s’évader par l’utilisation de drogues, Steve se construit une réalité virtuelle qui lui permet non seulement de voir le monde différemment, mais aussi de s’y intégrer plus facilement. Il met à profit son ingéniosité pour s’inscrire en faux devant le réel et pour s’en rapprocher. Steve Mann s’est-il créé une drogue technologique avec la cybernétique? "D’un côté, explique le réalisateur, il s’est construit une armure électronique qui lui permet de se sentir plus à l’aise. Au cours du tournage, j’ai compris que Steve voit la réalité en vecteurs, en termes d’équations mathématiques qui forment un paysage alternatif dans lequel il se sent mieux. Il dirait qu’il se sent plus libre dans cet espace alors que d’autres diraient qu’il en est prisonnier. Je crois que c’est un peu des deux. Métaphoriquement, on pourrait dire qu’il s’agit d’une drogue."

Le cruel du réel
À quelques milliers de kilomètres, les deux jeunes filles de Perfume de Violetas (fiction de Maryse Sistach, Mexique) vivent la tragédie d’une pauvreté accablante au quotidien. Devant elles, inaccessible: l’opulence. Ces iniquités les poussent au crime, puis au drame.

Dans un univers machiste où chaque seconde de minuscule bonheur et chaque dollar se gagnent à coup de trahison, de mensonge et d’irréparables stigmates, l’avenir est amputé.

Un constat certes accablant, mais d’une vérité tranchante, qui trucide les bien-pensants: l’Amérique est malade, ses enfants dégoûtés. De la fiction au documentaire, ces films prennent un ton tragique pour exprimer le cri de colère et de désespoir que lancent ceux qui s’insurgent devant l’absurde, qui combattent le totalitarisme de la pensée unique imposée par une société apathique qui sombre en silence.

Du 6 au 10 mars

En différents lieux
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