FIFA : Les phares de l’art
On peut devenir accro au FIFA. Le Festival international du film sur l’art, c’est un peu comme une drogue: plus on en voit, plus on veut en voir.
On peut devenir accro au FIFA. Le Festival international du film sur l’art, c’est un peu comme une drogue: plus on en voit, plus on veut en voir. Plus on veut percer je ne sais quel mystère… probablement celui de la création. Tiens! Sa création justement: voilà justement 20 ans, le FIFA était fondé par René Rozon. Or, du 12 au 17 mars, il faudra avoir une bonne santé, car les mordus du film de l’art pourront visionner jusqu’à 200 films. En six jours. Madame la gouverneur générale, Adrienne Clarkson, est là pour présider cette 20e édition, et le nombre d’invités a sensiblement augmenté, tout comme le nombre de salles, puisqu’on ajoute celles de la Place des Arts et du Musée McCord aux six précédentes. Rappelons que le FIFA, qui a reçu le Grand Prix 2001 du Conseil des arts de la CUM, est unique sur ce continent; et on dit qu’il rayonne internationalement dans son domaine, au même titre que le Festival de Cannes dans celui du long métrage de fiction.
Bref, le FIFA prend de l’ampleur, et ne manque pas de panache, mais il reste discret. Le lot de la culture, sans doute. Car le film sur l’art n’est pas forcément le candidat chéri des chaînes télévisées (ART TV devrait peut-être d’ailleurs se mouiller davantage, c’est son créneau après tout); et il n’est acheté que par les musées et les universités. Pour le public, il n’y a donc pas beaucoup d’options; il faut y aller, sous peine probable de ne plus voir les oeuvres par la suite!
Mais ce n’est pas la bonne raison. Il faut aller au FIFA parce qu’on ne sait rien. Et que c’est un des moyens d’en savoir plus. Le Festival est un concentré de bouquins et de musées; un crashcourse culturel. Parce qu’on n’a pas tous la chance d’aller au Rijks Museum découvrir des Vermeer; il est beaucoup plus facile de regarder Vermeer: Master of Light, de Joseph Krakora, pour essayer de comprendre comment la lumière peut naître d’un pinceau, sur les visages des modèles du Hollandais réservé. On peut partir au FIFA en explorateur, afin de fouiller dans un domaine, une forme d’art que l’on connaît moins. Qu’est-ce que c’est qu’un artiste-démolisseur, par exemple? Alain, artiste-démolisseur, drôle de type dans sa maison belle comme un palais, glaneur suprême et cinéphile rêveur qui apparaît dans une ode à la différence et petit film poétique de Manon Barbeau. Et puis, il y a ceux que l’on croit connaître, même par coeur, et qui viennent encore nous étonner. C’est l’oeil toujours inquiet de Saint-Laurent dans Yves Saint Laurent, 5 avenue Marceau, de David Teboul qui étonne; ou les mots marmonnés de Riopelle dans son atelier, en train de s’acharner sur son Hommage à Rosa Luxembourg. Dans Riopelle, Esterel 90, Pierre Letarte filme en silence cette chose si rare: le peintre au travail, concentré sur ses couleurs. Forcément impressionnant. Aussi, en une demi-heure, et de façon aussi décousue et rapide que peut l’être le débit de son discours, on découvre comment un réalisateur comme Martin Scorsese aborde son art: dans Martin Scorsese, d’Albert Maysles, Larry Kamerman, et Antonio Ferrera, Marty l’excité met la touche finale à Il Mio Viaggio In Italia, son long documentaire sur le cinéma italien, et se retrouve à préparer la production de Gangs of New York dans les studios de Cinecitta. On dirait un enfant dans son terrain de jeu; à la fois effaré et exalté à l’idée de créer un monde. Petit voyage dans l’amour du cinéma…
Ces deux derniers films sont aussi de bons films. Ni plats, ni linéaires, ni ennuyeux. Mais parfois, ils le sont. Documentaires convenus qui font état du sujet sans le faire briller, comme le Clint Eastwood, de Bruce Ricker. Dans Suzor-Côté, le réalisateur Serge Giguère essaie de trouver des subterfuges à la biographie chronologique soporifique. Dramatisations et entrevues ne sont pas toujours heureuses, mais il a réussi à partager la passion pour ce peintre majeur. Et quelques tableaux enneigés de la région d’Athabaska valent le détour…
Également, il y a des oeuvres que l’on est content d’avoir croisées. Le film d’ouverture de cette 20e édition s’appelle Rivers and Tides – Andy Goldsworthy, et il est signé par l’Allemand Thomas Riedelsheimer. Ce dernier laisse non seulement toute la place à cet Écossais au calme olympien, un des maîtres du Land Art, créateur d’oeuvres en harmonie avec la nature, mais il rehausse ses interventions par une musique qui sonne juste, et par une caméra pure, claire et toujours si bien placée, qu’on se sent les spectateurs les plus privilégiés. On reste bouche bée devant les oeufs de pierre, de bois et surtout de glace; on est les seuls à pouvoir suivre les colliers de feuilles dans le courant d’une rivière; et à voir, depuis le ciel, les volutes d’un muret qui courent entre les arbres. Il fallait être là, à côté du créateur, ou il fallait le cinéma pour s’attarder sur l’effet d’une marée sur une structure de pierre…
Enfin, et cela résume un peu un rapport à l’art en voie de disparition, le film de clôture est une merveilleuse aventure. La Guerre du Louvre, documentaire de Jean-Claude Bringuier, nous embarque dans une épopée romanesque. Fin 1939, on a vidé en douce le Louvre de 4000 pièces, pour les soustraire aux mains allemandes. La Vénus de Milo, la Joconde et les autres se retrouvent sur les chemins de l’exode, cherchant des caches sûres comme des maquisards dans des châteaux de province. Dans un parcours qui durera six ans et qui aura parfois des airs de Grande Vadrouille, se croisent le destin des toiles et celui des hommes. Entre l’héroïsme patriotique de ces années dingues et l’amour de trésors artistiques, on reste encore étonné de voir tant de ténacité au service de la culture. Serait-on nombreux aujourd’hui à venir sauver un peu de création?
FIFA
Du 12 au 17 mars
(514) 847-1637
www.artfifa.com