10 ans de cinéma : Action!
Sans prétendre avoir une activité cinématographique aussi imposante que celle de la métropole, Québec peut tout de même se targuer d’avoir développé les structures nécessaires à l’avènement d’un cinéma qui lui est propre. Depuis le début des années 1990, les jeunes cinéastes qui émergent de la région sont de plus en plus nombreux, tout comme les lieux de diffusion, les maisons de production et les événements qui célèbrent le septième art.
Selon Fabrice Montal, programmateur à Antitube et au festival Images du Nouveau Monde, le milieu s’est organisé grâce à une espèce de volonté collective, qui trouverait sa source dans la première moitié des années 1990: "L’exemple de Robert Lepage n’est pas innocent à tout ça. Quand le gars décide de s’installer à Québec pour produire, il donne un exemple en disant: "Venez, on est capables de rester ici et de faire de quoi." C’est comme un signal-phare. Ça n’a pas empêché des gars comme Francis Leclerc ou Ricardo Trogi de s’en aller à Montréal, mais maintenant il y a de moins en moins de gens qui partent parce que dans les faits, le milieu s’est dynamisé."
Québec, lieu de tournage
L’activité grandissante du milieu cinématographique de la Vieille Capitale semble avoir attiré l’attention des producteurs. Yves Fortin, des productions Thalie, est l’un des rares à avoir quitté Montréal pour s’établir à Québec. Depuis son arrivée, il y a cinq ans, il n’a pas chômé: il a produit Un petit vent de panique (Pierre Greco) et Le Ciel sur la tête (André Melançon). Il est présentement en postproduction de son troisième long métrage, Le Marais de Kim Nguyen, et planche déjà sur son prochain projet. "Il y a à Québec un potentiel que je dirais immense au plan des ressources humaines, indique-t-il. Il se fait beaucoup de théâtre, il y a beaucoup de techniciens, il y a des installations et il y a évidemment des lieux de tournage que l’on n’a pas beaucoup vus dans notre cinéma. Il ne faut pas oublier qu’il y a déjà eu, au début des années 80, une production quand même importante à Québec. Il y a eu un momentum que l’on peut reconstituer aujourd’hui."
Fait intéressant, les maisons de production québécoises, jeunes ou moins jeunes, oeuvrent dans des domaines fort différents et parviennent toutes à diffuser leurs réalisations à l’étranger. Sky High Entertainment, qui a vu le jour en 1997, s’affaire présentement à produire son second film en IMAX. La compagnie fait les choses en grand et n’hésite pas à investir à coup de millions dans ses projets. Les regroupements indépendants, comme La Bande vidéo, Vidéo-femmes et Spirafilm, poursuivent quant à eux leur travail de façon assidue. Preuve que leurs réalisations, expérimentales ou non, méritent attention: plusieurs se sont illustrées dans les festivals internationaux.
"On récolte présentement des trucs que des regroupements indépendants comme Spirafilm sèment depuis plus de 20 ans, croit Yves Fortin. Spira a été et demeure un laboratoire extraordinaire." Le cinéaste Francis Leclerc, qui a longtemps tourné à Québec et qui a récemment achevé le long métrage Jeune fille à la fenêtre, acquiesce: "Ça m’a donné un coup de main d’être à Québec au début des années 90 pour faire du cinéma, car il existe à Québec un climat d’entraide qu’on trouve pas à Montréal, par exemple. C’est Spirafilm qui est un noyau où l’on se retrouvait à Québec, et où on se retrouve encore."
La multiplication des talents
Qu’ils s’intéressent au long métrage, à la vidéo expérimentale ou au documentaire, les cinéastes québécois se sont faits de plus en plus nombreux ces dernières années. On reconnaît tout juste le talent des Francis Leclerc, Ricardo Trogi et Jeremy Peter Allen, que d’autres s’imposent comme Pierre Greco, Normand Bergeron, Philippe Gagnon, Éric Gagnon, Boris Firquet ou la bande de Phylactère Cola. "Il y a plus de courts métrages qui sont faits et les gens qui ont commencé à faire du cinéma au début des années 90 savent vraiment plus comment fonctionne le cinéma aujourd’hui, remarque Francis Leclerc. Il y en a là-dedans qui étaient des réalisateurs et qui produisent encore plus, et il y en a des nouveaux qui arrivent…"
"Il se passe vraiment de quoi, indique de son côté Fabrice Montal. C’est en train de bouger et ça accompagne aussi la démocratisation des outils de travail. Le numérique permet à des jeunes qui n’ont pas beaucoup de sous de produire une oeuvre qui se tient et de l’envoyer dans les festivals. Ça, ça ne se voyait pas avant."
La diffusion
Québec compte davantage de lieux et d’événements permettant de présenter les oeuvres des talents locaux, nationaux et étrangers. C’est ainsi qu’Antitube, qui diffuse du cinéma de répertoire, a vu le jour en 1995 et qu’au Festival du film de Québec et aux Rendez-vous du cinéma québécois se sont ajoutés des événements comme le Festival Vitesse-Lumière en 1998 et le festival Images du Nouveau Monde en 2000. "L’idée avec Images du Nouveau Monde était de créer une ouverture vers d’autres choses et d’avoir une programmation faite par les gens d’ici, avec la sensibilité du tissu social, et non plus de se faire catapulter des programmations qui viennent de Montréal, explique Fabrice Montal. Au bout de trois ans, je crois que l’on est arrivés à avoir énormément d’exclusivités. Cette année, les 4/5 des films ont été des premières au Québec et on continue de grandir…"
Le milieu cinématographique de Québec se porte donc mieux qu’il ne s’est jamais porté. Or si la majorité des infrastructures nécessaires au bon développement du septième art sont présentes, il en manque encore une, très importante: les studios de tournage. "Il ne faut pas croire que c’est parce qu’on aurait un studio que, tout à coup, l’industrie serait bouleversée, observe Yves Fortin. On aurait par contre accès à des productions auxquelles on ne peut même pas penser pour l’instant, comme des téléséries ou faire davantage de pub, sans oublier le cinéma, bien sûr."
Pendant que des projets de studio sont dans l’air, le cinéma poursuit son évolution à Québec. Et peu à peu, la Vieille Capitale en récolte des dividendes: "Québec est devenu l’endroit des professionnels de la relève, croit Yves Fortin. Il y a une liberté qui crée un momentum et on se retrouve avec des jeunes cinéastes qui font de très beaux films et qui sont mûrs pour aller plus loin."