Roberto Rossellini : L’oeil qui voit tout
Pour mieux les apprécier, avant de plonger dans les films de Roberto Rossellini, il faudrait une immersion. Voire une introspection!
Pour mieux les apprécier, avant de plonger dans les films de Roberto Rossellini, il faudrait une immersion. Voire une introspection! Comme les quatre heures du Il Mio Viaggio In Italia avec Martin Scorsese, par exemple, parce que le petit Marty a bien mis en évidence le poids et l’onde de choc artistiques du cinéaste italien, sur sa propre oeuvre comme sur le public. Parce que le temps passe, que la mémoire se met sur courant alternatif et écorche parfois les talents, il ne faudrait pas oublier ce que représente un film de Rossellini. Aujourd’hui, Rossellini se résumerait à une grande colonne dans un dico de cinéma, une silhouette sérieuse de notaire, un scandale romanesque avec Ingrid Bergman, Anna Magnani qui s’écroule derrière un camion et l’incarnation du néoréalisme. Bien sûr que ça ne suffit pas. La cinémathèque québécoise propose donc 12 films, réalisés entre 1945 et 1972, qui se veulent un éventail de voies empruntées par un des maîtres du cinéma. L’éventail n’est pas complètement ouvert cependant, laissant de côté les premiers films signés en plein fascisme, plus La Prise du pouvoir par Louis XIV pour la télé, General della Rovere avec son ami de Sica, et quelques gros morceaux sur la période du mal de vivre au féminin: Stromboli et Europa 51.
Restent cependant trois chefs-d’oeuvre, le triptyque qui donna naissance au terme néoréalisme: Rome, Ville ouverte, tourné deux mois après la libération de Rome en 45; Païsa, six épisodes sur le chaos de la guerre (1946); et Allemagne année zéro, une étape de la reconstruction, en pays vaincu (1948). Acteurs inconnus, son postsynchro, extérieurs, situations proches du documentaire; ce sont des oeuvres sombres, mais surtout une ligne morale claire, vibrante, illustrée par une mise en scène limpide et sans entraves. Les corps au milieu des marais dans Païsa; le prêtre sans lunettes confronté à la Gestapo dans Rome, Ville ouverte et le suicide de ce blondinet dans Allemagne année zéro… On ne nage pas dans le misérabilisme, dans le mélo, ni dans le gauchisme de base: la vision de l’humanité est à la frontière du réalisme cru et de la théorie idéale. François Truffaut disait de lui: "Il sent les choses mieux qu’il ne les comprend, ce qui lui vaut de les exprimer sans démontrer."
D’ailleurs, pour Rossellini, le néoréalisme est bien plus une position morale – "avoir le courage de se confesser", dira-t-il – qu’une récupération politique et sociale. Et c’est dans cette voie que l’on peut aborder sa filmographie. Revoir des films de Rossellini aujourd’hui, c’est trouver quelque chose qui n’existe plus tellement dans les arts en général, et dans le cinéma en particulier: un certain sens du sacré, un dépassement de soi. Éducation et choix de vie, Rossellini a utilisé l’outil cinéma pour amener à la conscience une vision grandie de l’homme. Appelons cela idéalisme utopique ou mysticisme chrétien, l’ambition était grande, mais si sincère et si finement transposée par la mise en scène, qu’on ne peut être qu’ému, encore aujourd’hui. À voir également: La Voix humaine (1948) avec Anna Magnani; une incursion dans le comique avec La Machine à tuer les méchants (1948), L’Envie (1952), d’après un roman de Colette; le toujours étonnant Fleurs de St- François (1950); La Peur (1954), avec Ingrid Bergman, d’après un roman de Stephan Zweig; le déroutant Voyage en Italie (1953), où le couple George Sanders et Ingrid Bergman se désagrège; India (1957-1959), un documentaire sur l’organisation sociale en Inde; et Blaise Pascal (1972), avec Pierre Arditi. Un autre qui se débattait entre intellectualisme et spiritualisme…
Cinémathèque québécoise
Du 14 au 31 mars
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