Voir Gilles Groulx – Denis Chouinard : Soif d’idéal
Parce que la notion d’auteur au cinéma a eu de belles heures, et parce qu’on veut qu’il y en ait encore, DENIS CHOUINARD rend hommage à un des plus grands cinéastes de ce pays, GILLES GROULX. Pour se secouer les puces…
La voix d’un artiste aide à vivre. Mais on ne s’en souvient pas toujours. Englouti dans la daube ambiante ou trop occupé à mourir, on sursaute chaque fois qu’il fait un peu plus sombre. Riopelle est mort. Ah, zut! On se réveille deux minutes, pour retomber dans le coma. Et Gilles Groulx, ça vous dit quelque chose? Un réalisateur étonnant, un des fondateurs du cinéma direct, une comète de l’ONF, un monteur exceptionnel, chroniqueur engagé à l’époque des illusions perdues. Un type hors du commun qui n’économisait ni sa vie ni son art. Une sorte de phare de la culture. Une Nouvelle Vague à lui tout seul. Mais qui s’en soucie, ici? Quelques aficionados, au moins, et Denis Chouinard, qui vient de lui consacrer un documentaire, Voir Gilles Groulx. D’autres, maintenant, espérons-le, pourront s’en soucier.
Faire un film sur Groulx, aujourd’hui, ce n’est pas seulement rendre hommage à l’artiste, interpréter son oeuvre ou se trouver une filiation. C’est encore faire de l’éducation. Il y a eu pourtant des prix, des hommages, des rétrospectives, des bouquins, un documentaire – Trop c’est assez, de Richard Brouillette. Mais quand l’artiste n’est plus là pour irradier, la flamme a tendance à s’éteindre ici-bas. Et il faut chaque fois recommencer à zéro. Chouinard a fait un excellent boulot pour rallumer la flamme; il s’est fait "réunisseur", choisissant de judicieuses interventions de ceux qui l’ont aimé: Bernard Gosselin, Marcel Carrière, Denys Arcand, Paule Baillargeon, Robert Daudelin, Guy Borremans, Michel Brault, Pierre Falardeau, Georges Dor, Roger Frappier, Pierre Harel, Pierre Hébert, Jean-Claude Labrecque, Jean-Marc Piotte, Thomas Vamos et sa compagne Barbara Ulrich. Tous avaient envie de parler de lui, de retrouver, dans leurs mots et leurs souvenirs, une flamme oubliée. Les yeux brillent, ça n’a rien à voir avec la ligue du vieux poêle. Ils ont remonté un personnage, en le grandissant un peu peut-être, mais à peine: Groulx semblait déjà un géant à une époque qui supportait un tel panache. Chouinard laisse la nostalgie flotter… "Quand Groulx a eu son accident (un traumatisme crânien avec des séquelles permanentes) en 1981, j’avais 17 ans. Je ne l’ai jamais rencontré. Il était diminué mentalement. À la même époque, avec Louis Bélanger, j’allais tous les jours à la Cinémathèque, et là, on voyait Jutra, atteint d’Alzheimer, qui retournait voir les grands classiques. Parce qu’il ne s’en souvenait plus…, lance-t-il. Bien sûr que je suis nostalgique: à cette époque-là, l’ONF était une machine à rêves! Le cinéma avait plus d’importance. Le Canada, cherchant à exister culturellement, proposait une hégémonie gouvernementale; et les films se sont faits à l’ONF, mais envers l’ONF: c’est-à-dire que tout comme Wajda et Forman en Pologne, Groulx, avec une commande de film sur la neige, a réalisé… Le Chat dans le sac!" Ce portrait poétique d’intellectuels au coeur de la Révolution tranquille avait ouvert la Semaine de la critique à Cannes en 1965. Entre la naissance hasardeuse des Raquetteurs, en 58, coréalisé avec Brault, et l’interdit sur 24 Heures ou plus…, en 1973, Gilles Groulx, suivant la grille marxiste et un chemin sans compromis, a accouché d’oeuvres coup-de-poing. Le type était un empêcheur de tourner en rond, donc un phare. Dans la lentille de Gilles Groulx, dans son sens du montage, le réel est vivant, pluriel, orientable, redéfinissable. Il semblait proche dans les boxeurs de Golden Gloves, avec les raquetteurs, et les joueurs de hockey dans Un jeu si simple; il se théorise avec Un chat dans le sac, Où êtes-vous donc?, Entre tu et vous; et se redéfinit en marche, proposant des enjeux et d’autres routes dans 24 Heures ou plus…, Première Question sur le bonheur et Au pays de Zom. La démarche a donné la trouille, trop d’intégrité inquiète, l’homme n’était pas facile: la censure sur 24 Heures ou plus… l’a brisé. La maladie l’a achevé.
Mais le temps d’un documentaire – qui, dans sa forme et dans son rythme, tente aussi d’expliquer l’auteur -, on a l’impression que le cercle des amis s’est ressoudé, que la flamme s’est rallumée. Et rien que pour voir, au détour d’une phrase, Denys Arcand, les naseaux palpitants, rager parce que la culture dans ce pays tombe dans l’oubli dès que la voix de l’artiste s’est tue, on a envie d’applaudir l’initiative de Chouinard. Ce dernier a donné un nouveau coup d’envoi. Un rappel pour dire que cinéma et analyse peuvent aller de pair, et qu’il faut voir les films de Groulx. Il existe maintenant L’Ouvre de Gilles Groulx, dans la collection Mémoire de l’ONF, qui a déjà mis Perrault en boîte. Filmographie complète (dont une séquence sur la révolution cubaine dans Voir Miami, coupée de la copie originale), plus un livret de textes intelligents et éclairés, de rares entrevues, plus le film de Chouinard, et Autour de Zom, que le réalisateur de L’Ange de goudron a fait sur la genèse du film de Groulx; bref, un pavé en DVD, proche de l’inestimable.
Rétrospective des films de Gilles Groulx + Autour de Zom
À la Cinémathèque québécoise
Jusqu’au 30 avril
Voir Gilles Groulx, de Denis Chouinard
À Ex-Centris