Une vraie jeune fille / Catherine Breillat : Mémoires d’une petite culotte
Érotico, porno, intello: qu’importe le motto, chantons le sexe bien haut! CATHERINE BREILLAT, devenue grande prêtresse dans le domaine, parle de son premier film, qui prend l’affiche. Une fesse qui se cherche…
En 1976, Une vraie jeune fille, premier film de Catherine Breillat, est interdit aux moins de 18 ans, à cause de scènes jugées trop choquantes. Par la suite, la faillite de la société de production et une longue série de déboires empêcheront la sortie du film en salle. Autres temps, autres moeurs, Une vraie jeune fille sort enfin de l’ombre au Festival de Rotterdam en 1998, la même année que Romance, l’oeuvre la plus achevée de la cinéaste. Cette longue attente en valait-elle la peine? D’entrée de jeu, il faut avouer que la première réalisation de Breillat est franchement mauvaise. Toutefois, elle n’est pas dépourvue d’intérêt puisque s’y retrouvent, déjà bien ancrés, les thèmes de prédilection de la sulfureuse réalisatrice. Une vraie jeune fille, c’est Romance en mode mineur.
Lors d’un entretien téléphonique, Catherine Breillat reconnaît que ses deux films se réfléchissent l’un l’autre. Adaptation de son roman Le Soupirail (1974), Une vraie jeune fille met en scène Alice (Charlotte Alexandra, Contes immoraux et Goodbye Emmanuelle), une adolescente pulpeuse et pataude venue passer ses vacances estivales chez ses parents dans les Landes. Tout comme la Marie de Romance, Alice se languit d’être prise par l’homme qu’elle aime, Jim (Hiram Keller, Satyricon), un bel étalon que son père vient d’embaucher comme ouvrier. Mais le jeune homme reste indifférent aux séances d’exhibitionnisme d’Alice. À l’instar de Marie, Alice, qui fait aussi part de ses impressions en voix off, se livre donc à des expériences qui la plongent au coeur d’une sexualité jusque-là insoupçonnée. Quoique plus innocentes, les scènes sont plus crues que dans Romance, plus frontales, selon l’expression de l’auteure, qui se défend pourtant d’être obscène, "car l’obscénité n’existe pas, c’est une invention judéo-chrétienne". Elle prétend simplement mettre en scène la honte et la culpabilité reliées au corps et au désir féminins. Soumises en apparence, ses héroïnes n’en contrôlent pas moins leurs hommes jusqu’à ce qu’elles deviennent les femmes qu’elles désiraient être. Car chez Breillat, les hommes sont jetables: une fois que l’on a eu d’eux ce que l’on désirait, on les parachute dans l’au-delà.
Malgré les ressemblances avec Romance, reste qu’Une vraie jeune fille comporte plusieurs faiblesses. La réalisatrice démontre avec trop d’insistance son goût pour le gluant, par le biais d’Alice que les fluides corporels fascinent particulièrement. L’esthétique grotesque et le jeu artificiel des acteurs rappellent les films d’Andy Warhol, qui fut un bon ami de Breillat, laquelle avoue s’en être inspirée. Par contre, le montage manque de fluidité: la petite culotte, d’un blanc immaculé comme la garde-robe de Marie, sera mise à contribution dans d’interminables scènes à la limite du risible… et de notre patience! En regardant Alice errer sur la plage, on a parfois l’impression que la scénariste a perdu le fil de l’histoire.
Docteur ès sexe
Dès son premier roman, L’Homme facile (1968), écrit à 18 ans, Catherine Breillat a fait scandale par sa façon de représenter la psyché féminine. D’autres scandales suivront… La sortie de Romance en a ébranlé quelques-uns à cause de sa sexualité explicite et de la présence de l’acteur porno Rocco Siffredi. Puis Breillat a choqué la bienséance en prenant la défense de Virginie Despentes et de Coralie Trinh Thi lorsqu’on a voulu bannir leur horrible Baise-moi. Et l’automne dernier, la Commission de contrôle cinématographique de l’Ontario interdisait la distribution d’À ma soeur!, le dernier film de la réalisatrice, où deux soeurs cherchent à perdre leur virginité, thème que Breillat a aussi exploité dans 36 Fillettes (1987). Bref, le jour n’est pas venu où elle fera des films pour tous. Selon elle, ce serait considérer le cinéma comme un art mineur que de le réduire une activité familiale: "Je ne lave pas les cerveaux comme on le fait à la télé, je les aère!" dit-elle en riant. Prochainement, Siffredi "jouera" dans l’adaptation de Pornocratie, huis clos cruel où le corps de la femme est soumis, de plein gré, au regard d’un homosexuel. Un autre scandale à l’horizon?
Mais pourquoi, au moment où s’amenuise la ligne entre érotisme et pornographie dans le cinéma d’auteur (Chéreau, Bonello et Labrune), et où l’on célèbre des stars du porno comme Annabel Chong et Ron Jeremy, Catherine Breillat choque-t-elle encore? "Parce que le monde occidental est revenu à la pudibonderie du 17e siècle!" conclut la principale intéressée. Diantre!
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