Découvertes allemandes : Un oeil neuf
L’événement Découvertes allemandes proposent neuf films cette année. Attardons-nous d’abord sur ceux de la réalisatrice Doris Dörrie. Deux bijoux drôles et charmeurs. À voir.
Un film se présente de deux façons: avec son cortège de rumeurs, ou tout nu. Quand le tout nu arrive et qu’il séduit d’emblée, la joie est immense, grandie par la surprise. Découvertes allemandes (événement éclairant qui fête au Goethe-Institut son 10e anniversaire) offrent ce genre de cadeaux. Pourtant, des images préconçues de la cinématographie allemande, on en a eu des charrettes entières; souvent divisées entre le film sérieux, qui traite de politique vert de gris et de réunification, le film poétique et urbain, dense et sombre, et le film comique choucroute-saucisse, difficilement exportable. Heureusement, depuis peu de temps, quand on entend cinématographie allemande, on pense nuance. Et on accroche à tout ce qui passe. Que ce soit les films de Tom Tykwer ou ceux de Roland Suso Richter. Cette année, la découverte s’appelle Doris Dörrie. Cette réalisatrice formée aux États-Unis avait battu la compétition (Out of Africa, Rocky IV et The Name of the Rose) sur son territoire avec Männer (Les Hommes), en 1986; un film sur deux hommes et leurs idéaux post 68 dans les années 80. Depuis, elle est une figure phare du nouveau cinéma allemand.
L’événement au Goethe s’ouvre avec ses deux derniers films: Bin ich schön? (Suis-je belle?), de 1998, et Erleuchtung garantiert (Enlightment Guaranteed), de 1999. Deux films dans lesquels on embarque dès la première minute. Le secret est dans la sauce: compassion et ironie; comique et dramatique; sincérité et fantaisie. Si l’on s’amusait à faire une échelle de gradation de la densité des sentiments, les films de Dörrie auraient ce drôle de poids parfaitement balancé, à la fois lourd et léger.
Dans Suis-je belle?, on suit en dilettante plusieurs destins féminins un peu à la manière d’un Short Cuts d’Altman. Les chemins se croisent parfois de façon thématique (jusqu’à quand peut-on aimer? Comment reconnaître le bonheur si on le croise?), parfois de façon visuelle (le soleil d’Espagne, la grisaille de Munich), et parfois en suivant la théorie du chaos (une fille jette son sac à main, un gars trouve le sac à main, et la vie vient de changer de rail). Et comme souvent dans ce genre de système déambulatoire, on garde ce qu’on veut, ce qui nous va au teint. On prendrait la peau dorée de Franka Potente, star maison depuis Cours, Lola, cours; le sourire un peu niais du beau Steffen Wink; l’angoisse ridicule du père (Gottfried John) qui se paye une aventure qui tourne mal quand il doit nettoyer du sang sur la moquette immaculée avant que sa femme ne rentre; les mots d’amour d’un vieil homme (Dietmar Schoenherr) qui se balade avec les cendres de son épouse aimée; et les très romantiques retrouvailles entre une Munichoise (Senta Berger) et son amant d’il y a 30 ans (Otto Sander), un gars qui a perdu la mémoire à Séville, et qui se souvient de quelques bribes, sauf de cette femme. On garde une bohème croisée dans un parking, un nuage soupesé par une main et un très beau pull en cachemire… On badine en se promenant, car on est sûr que le bonheur et ses femmes doivent se rencontrer. Il y a là l’assurance joyeuse d’une douceur envisagée (ou passée) qui donne au film un ton apaisant et qui ne le fait pas tomber dans l’alignement tristounet de destins pas toujours folichons. Bref, un film charmeur sur des histoires de coeur.
Encore plus fort est le dernier film, Enlightment Guaranteed. Dörrie reprend deux de ses acteurs fétiches, Uwe Ochsenknecht et Gustav-Peter Wöhler, les transforme en deux frères que tout oppose: Uwe est vendeur de cuisines et il vient de se faire larguer par femme et enfant, et Gustav est un fêlé du zen, dispensant ses connaissances en Feng-Shui. Gustav emmène Uwe au Japon, dans un monastère pour se ressourcer. Trame comique, fond dramatique, structure mieux construite, poésie et sagesse dans l’approche du touriste allemand au Japon autant que dans la perception de la religion bouddhiste: aucune fausse note, juste du plaisir. Dörrie a vraiment la main fine pour placer la situation en quelques plans. Une famille sous pression se résume au regard vidé de la mère; le Japon se résume à des cellulaires et des carpes dans un bassin, et le bonheur des retrouvailles entre deux frères, à un mantra sous une tente… c’est drôle et émouvant. On en veut encore des comme ça. La suite des Découvertes allemandes dans le courant du mois… à partir du 4 avril.
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