Se souvenir des belles choses : Bon souvenir
Cinéma

Se souvenir des belles choses : Bon souvenir

Quand le souvenir s’efface, la vie s’évapore. ZABOU BREITMAN, avec un premier film, suit le fil de l’identité et de la mémoire. Bons acteurs, humour, et respect à garder en  mémoire…

On connaît Zabou, l’actrice: sa frimousse, son franc-parler, sa tignasse noire; la fille énergique et sensible quel que soit le rôle: en ex-femme attentive dans Ma petite entreprise ou en salope cinglante dans Tenue correcte exigée. On vient de découvrir Zabou la réalisatrice par son premier long métrage, Se souvenir des belles choses. Et c’est un film à son image projetée: sensible et franc, mi-rires, mi-larmes.

Que voilà une vue agréable! Les petits films sympas qui déboulent de l’Hexagone, il en pleut quand les distributeurs vident leurs tiroirs. Mais celui-ci mérite qu’on s’y attarde, qu’on lui donne une chance. Zabou Breitman a réussi un premier essai bien construit, aussi net dans le fond que dans la forme, et qui trottine avec poésie, mais aussi avec humour, soignant les acteurs et les mots. Bien sûr, on tarde parfois, on se laisse aller à la beauté d’un plan. On se dit alors que le chemin aurait pu être plus original, la poésie, moins candide; mais une remarque, une scène forte, vient réveiller l’eau qui commençait à dormir. Le film raconte l’histoire d’amour entre Claire (Isabelle Carré) et Philippe (Bernard Campan), deux pensionnaires des Écureuils, établissement tranquille pour ceux qui ont la mémoire qui flanche. Claire a une maladie rare, génétique et dégénérescente: elle va tout oublier, et très vite. Philippe, amnésique, ne veut pas se souvenir d’un accident qui a tué femme et enfant. L’amour sera une thérapie, et la mémoire, un cadeau de l’un à l’autre.

Isabelle Carré, lumineuse et vibrante, se souvient du scénario mis dans sa boîte aux lettres. "J’ai pleuré à la fin! J’avais très peur de ne pas pouvoir interpréter Claire. Mais Zabou est un directeur d’acteurs, elle a un regard généreux. Son seul désir est de nous mettre en valeur. On ne peut que le lui rendre au centuple! Ç’a été mon expérience la plus épanouissante!" lance-t-elle, encore extatique, alors que le film venait juste de prendre l’affiche à Paris. "Ça fait 13 ans que j’exerce ce métier, et depuis une semaine, on me reconnaît dans la rue!" Avec douceur et détermination, elle porte le film; et nous tient fermement dans cette lucidité étrange du malade qui se sait gravement atteint. Elle ne faiblit pas, et on la suit jusqu’à sa perte. "Il fallait que je joue réel, mais heureusement, Claire est décalée au départ; elle est un peu spéciale: elle a sa mode à elle, c’est une vieille jeune fille." Et quand elle bute sur les mots, sur la signification qui s’enfuit, on aimerait pouvoir les lui souffler…

La révélation pourtant vient de Bernard Campan. Campan, c’est le beau gosse des Inconnus; un gars qui, après avoir fait le pitre pendant des années, se retrouve à 43 ans dans un rôle dramatique difficile. "Quand j’ai rencontré Zabou, je défendais L’Extraterrestre dans un festival. Elle a dû m’observer, elle a dû se dire: Philippe, c’est peut-être lui. Elle a vu le potentiel de sensibilité, pourtant difficile à cerner dans le registre comique." Et il s’est lancé naturel, sans triche, jouant l’amoureux, le démuni, le bon gars, le tendre, le colérique. "Je n’aurais pas pu faire ce film avant aujourd’hui. On ne peut pas inventer tout ça; il faut que la vie passe. J’avais peur, mais j’ai fait avec la peur." Voilà un clown soudainement pudique, sombre comme peuvent l’être les comiques. Il est parfait.

La réalisatrice (aidée de son père Jean-Claude Deret, coscénariste, et jouant le rôle de Finkel dans le film) a la main heureuse pour les dialogues, aussi naturels que précis: le directeur des Écureuils (Bernard Lecoq, toujours aussi à l’aise), amateur de vin, plus préoccupé par ses malades que par sa vie amoureuse, respire le quotidien, le terrain connu, la connaissance croisée; tandis que les répliques marrantes, lancées à la volée entre le personnel et les malades (qui finissent par déteindre les uns sur les autres), frisent le délire. Et sans prévenir, on passe de la franche rigolade à la cantine à une confession dramatique drôlement détournée, ou à des retrouvailles émouvantes de vieux juifs dans le parc.

Elle ne part pas dans tous les sens, la Zabou, mais elle pioche avec finesse dans les avenues de la mémoire et du souvenir; elle nous lance des perches: qu’est-ce qu’on en fait de ce paquet d’histoires, de mots et d’idées? Est-ce qu’on a évalué la richesse de ce bagage? De Broca avait eu les mêmes interrogations avec Le Roi de coeur, et les deux établissements et leurs pensionnaires attachants ont d’ailleurs des airs de ressemblance. Zabou, avec une musique guillerette, un coup d’orage et l’ange de l’oubli, salue la vie et son chapelet de souvenirs, même terribles. Mieux vaut être lucide. Chemin que de Broca n’avait pas suivi… Voilà un questionnement identitaire d’autant plus charmant que Zabou n’est connue que par son prénom. Et encore, ce n’est qu’un surnom.

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