Strass / Vincent Lannoo : Planches pourries
Cinéma

Strass / Vincent Lannoo : Planches pourries

Avec les préceptes stylistiques du Dogme 95 danois, Vincent Lannoo s’est lancé dans l’aventure long métrage (il a déjà plusieurs courts à son actif, dont J’adore le cinéma, remarqué dans les festivals) et a réalisé Strass, le premier dogme belge, le vingtième selon les règles de l’art (lumière naturelle, voix synchro, caméra épaule, etc.). Pour se consacrer aux acteurs avant l’esthétique, pour réaliser un film non individuel, et pour faire preuve d’insubordination. Ça tombe bien, c’est aussi le sujet du film.

Avec les préceptes stylistiques du Dogme 95 danois, Vincent Lannoo s’est lancé dans l’aventure long métrage (il a déjà plusieurs courts à son actif, dont J’adore le cinéma, remarqué dans les festivals) et a réalisé Strass, le premier dogme belge, le vingtième selon les règles de l’art (lumière naturelle, voix synchro, caméra épaule, etc.). Pour se consacrer aux acteurs avant l’esthétique, pour réaliser un film non individuel, et pour faire preuve d’insubordination. Ça tombe bien, c’est aussi le sujet du film.

On suit l’incursion d’une équipe vidéo dans une école de théâtre bruxelloise. Le directeur de cette école d’avant-garde, tout sourire (Carlo Ferrante), nous accueille à l’entrée, et l’on s’attend à pénétrer dans un antre de création, un fourmillement culturel. On s’attend à quelque chose de sympathique, du genre Italian for Beginners. Le sentiment dure moins d’une minute. À peine la porte passée, on tombe dans le docu-fiction déjanté; dans un microcosme rempli de singes hurleurs, de pervers cyniques et d’étudiants malmenés. "J’avais envie de parler d’une école d’acteurs, explique Lannoo, 32 ans, de nouveau au Québec après sa venue au FFM et à Rouyn, assurant la première sortie officielle de son film. Je voulais souligner certains abus et dire que les profs de théâtre devraient faire attention, que le pouvoir doit se gérer avec prudence, qu’il y a une éthique; qu’un prof ne doit pas séduire une élève, par exemple." Le prof en question (Pierre Lekeux, aussi producteur du film), bouille de Tintin et regard glacial, prend l’école pour son terrain de chasse personnel. Il poursuit la donzelle comme un fou furieux. Le maître étalon du harcèlement sexuel. En partant de ce fait, rien ne va, et les situations sont aussi hallucinantes que possibles. Car on rit jaune dans cette comédie très noire. À tous les niveaux, Lannoo glisse sa dose de cynisme: la tyrannie professorale, la mollesse des collègues, la malléabilité estudiantine, le harcèlement fait aux femmes, l’opportunisme de la direction, le voyeurisme du réalisateur… même la concierge est lymphatique. Dans ce jeu de miroirs réfléchissants, c’est l’art et la culture pris en otage par le cul et le fric. Ce n’est pas nouveau, loin d’être faux, mais assez fraîchement réalisé et joué pour que cela réveille encore. Le film a été tourné en trois semaines, avec sept semaines de répétition en amont. Un luxe, celui du temps. "Comme Kubrick, sans finalité ni pression", de dire le réalisateur, qui espère pouvoir en profiter encore, pour ses films à venir; "et dans un gros processus de répétition, il y a une assimilation naturelle du personnage", explique Carlo Ferrante, aussi à Montréal, qui a imaginé son directeur comme un politicien. Assimilation réussie, car outre une propension quasi surnaturelle aux engueulades soudaines, les acteurs sont tous d’une remarquable justesse. Les dialogues élaborés sonnent vrai et, mis à part quelques silhouettes qui restent dans le flou, comme celle de l’acteur confirmé, Léopold Gaëtan (Gaëtan Bévernaege), la star de cette école, ils évoluent chacun dans leur sphère avec beaucoup de crédibilité.

Si certaines scènes amusent (l’organisation dans le bureau fermé de l’audition d’une nouvelle élève, l’audition en soi, le cours de diction où l’on ne doit pas parler comme Louis Jouvet, l’à-plat-ventrisme littéral devant la star-gourou), la plupart rendent mal à l’aise. On voudrait, comme le réalisateur qui tient la caméra, être à la fois ailleurs, mais rester jusqu’au dénouement. L’hypocrisie, les abus, les cris, la perversité, l’humiliation s’accumulent, scène après scène, et, à bout d’agacement, on en vient à comprendre la finale, pourtant malhabile, mais ô combien libératrice! "Ce film est une attaque contre le théâtre belge, lâche Lannoo. Contre les écoles officielles qui ne fabriquent pas de bons acteurs. Comment ça se fait?" Aucune idée. Mais quelques principes énoncés dans ce film font preuve d’un sens de l’humour et d’une liberté de pensée à suivre…

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