Béla Tarr : Maître du temps
Cinéma

Béla Tarr : Maître du temps

Salué par la critique comme étant l’un des plus grands réalisateurs européens de sa génération, le cinéaste hongrois Béla Tarr, que l’on compare à Tarkovski, est à l’honneur à la Cinémathèque, où l’on présente la rétrospective de ses films.

Salué par la critique comme étant l’un des plus grands réalisateurs européens de sa génération, le cinéaste hongrois Béla Tarr, que l’on compare à Tarkovski, est à l’honneur à la Cinémathèque, où l’on présente la rétrospective de ses films. Qui est Béla Tarr? En marge de la marge, à des années-lumière du cinéma-industrie, son nom circule avec vénération dans des cercles restreints. Il est celui qui signe sans compromis des oeuvres noires et pessimistes où il exploite de façon singulière le temps et l’espace. Le terme "génie méconnu" lui va comme un gant.

À l’âge de 22 ans, et en quatre jours, Béla Tarr tourne son premier long métrage, Le Nid familial, un huis clos âpre et suffocant dans lequel un jeune couple d’ouvriers forcé de vivre chez les parents du mari se déchire lentement, alors que fait rage la crise du logement. Tarr cadre ses acteurs de très près, impudiquement. Comme chez Cassavetes, les acteurs improvisent en partie leurs dialogues et se meuvent au gré de leurs instincts. On retrouve également le monde nocturne des bars où l’on noie son ennui. À sa sortie de l’École supérieure de théâtre et de cinéma de Budapest, il tourne L’Outsider (1981) et Rapports préfabriqués (1982), deux films qui s’inscrivent dans la mouvance de cette école par leur approche documentaire à caractère social et l’emploi d’acteurs non professionnels. Le réalisateur travaille ensuite pour la télévision où il parfait sa maîtrise du plan-séquence pour son étonnante adaptation de Macbeth (1982). Sans jamais perdre de sa fluidité, la caméra évolue d’une scène à l’autre au cours des deux plans qui composent Macbeth, le premier d’une durée de 5 minutes, et le second, de 67 minutes… Dans les films de Béla Tarr, chaque coupure devient un événement.

En 1985, le très esthétique Almanach d’automne met en scène des personnages se livrant à des jeux de pouvoir malsains dans une grande maison décrépite. Tarr surprend par l’utilisation d’éclairages bleus et rouges et des plans insolites à donner le vertige, telle une scène tournée en contre-plongée sous un plancher de verre. Le réalisateur poursuit sa quête formelle avec Perdition (1987), où ses personnages se perdent dans l’immensité de la plaine hongroise et d’une ville sans visage. Les plans d’ensemble sont dorénavant préférés aux gros plans. Cette même année, à un journaliste de Libération qui lui demande pourquoi il filme, Tarr affirme qu’il déteste les histoires, car elles ne servent qu’à faire croire qu’il se passe quelque chose. Selon lui, les histoires "se sont dissoutes en elles-mêmes. Il ne reste que le temps. La seule chose qui soit réelle, c’est probablement le temps".

C’est dans cet esprit qu’il crée son oeuvre maîtresse, Satantango (1994), film-fleuve de sept heures trente! S’ouvrant sur un plan-séquence de dix minutes, ce film à l’intrigue minimaliste traduit avec force l’implacabilité du temps. Tarr explore encore la temporalité dans Les Harmonies de Werckmeister (2000, présenté au FCMM), film formé de 39 plans relatant le récit étrange d’un paisible village bouleversé par l’exposition d’un cadavre de baleine. Dans ce film aux accents surréalistes à la Buñuel, et dont certaines images sombres rappellent Murnau, Tarr n’hésite pas à multiplier les travellings latéraux pour suivre pendant de longues minutes ses personnages, menant ainsi le spectateur vers une transe hypnotique. Morceaux de bravoure artistique, expériences sur le réel, ses films – bien que gagnants de plusieurs prix internationaux – ne sont pas distribués en salle. Cette rétrospective s’avère l’occasion idéale de découvrir ce cinéaste inclassable.

À la Cinémathèque québécoise, jusqu’au 11 mai
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