Le Peuple migrateur / Jacques Perrin : Vue d'en haut
Cinéma

Le Peuple migrateur / Jacques Perrin : Vue d’en haut

Une heure et demie à regarder voler des oiseaux sur de la musique planante (les voix coulantes de Nick Cave et de Robert Wyatt), une heure et demie à flâner dans les nuages aux quatre coins de la planète, avec le strict minimum d’information: on pourrait rapidement dire que ça ne mène à rien, qu’on apprend pas grand-chose, qu’on ne va pas au cinéma pour voir des plumes. Pas si sûr.

Une heure et demie à regarder voler des oiseaux sur de la musique planante (les voix coulantes de Nick Cave et de Robert Wyatt), une heure et demie à flâner dans les nuages aux quatre coins de la planète, avec le strict minimum d’information: on pourrait rapidement dire que ça ne mène à rien, qu’on apprend pas grand-chose, qu’on ne va pas au cinéma pour voir des plumes. Pas si sûr. Sous des allures de cinéma-spa, détente des yeux garantie, ce voyage ornithologique est poétique, mais aussi politique. Pouvait-il en être autrement de la part de Jacques Perrin, initiateur et réalisateur; celui même qui a été producteur d’Himalaya, Microcosmos, Le Peuple singe, et surtout de Z, État de siège, Section spéciale et Le Désert des Tartares? Costa-Gavras et les albatros: même combat? "J’ai toujours la même vision, et j’ai toujours envie de vivre avec intensité! lance-t-il vivement. Je regarde les autres, je suis le contraire d’un ermite. J’ai besoin de solidarité et des gens se sont pris à mon rêve. Mon principal souci avec ce film était de rendre compte que nous ne sommes pas tout seuls sur la planète, qu’il y a d’autres populations et qu’on agit, dans l’inertie de nos sociétés, avec parfois beaucoup de désinvolture." Quatre mille personnes ont travaillé sur ce film magnifique, dont 150 de façon permanente, quatre ans de labeur, sept crashs d’ULM, des pilotes et des caméramen aux limites du danger, deux mois minimum dans un pays pour deux minutes de films, 450 km de pellicule pour deux km de film: l’entreprise titanesque du Peuple migrateur, c’est du jamais vu, du jamais fait, un fantasme d’ornithologue, une bénédiction pour les amoureux de la nature, et une oeuvre d’art militante à la hauteur du rêve de Perrin. Un plaisir de témoin, enfin. Car on vole avec les oiseaux, on est dans la confidence de leur survie: "Parce qu’un oiseau qui passe devant la caméra, qui a 3000 km de parcourus et qui va encore en faire 3000, ce n’est pas joli, c’est exemplaire."

Perrin a secoué les puces des banquiers inquiets avec beaucoup de patience, de ténacité… et un guide scénaristique, "comme un carnet de route d’un explorateur du XIXe". Ce guide suivait des axes de migration établis et avait des images précises. Celles des villes, notamment, comme points de repères. En fond de plumes, on voit donc de quoi l’homme est capable: Manhattan, le Mont-Saint-Michel, Paris, un petit garçon, une gentille vieille dame; mais aussi une usine dégueulasse, des cages et des chasseurs, des "viandards", selon Perrin. Le message est limpide: l’humain, une fois n’est pas coutume, est en décor. Le plus merveilleux est que, beau ou laid, ce décor n’est qu’un fond de carte pour ses oiseaux souverains qui se guident sur les étoiles et le soleil. Ils migrent, sans se soucier de nous.

Comme Le Peuple migrateur n’est pas un documentaire animalier saucissonné en 52 minutes pour Discovery Channel, les explications didactiques n’étaient pas de mise. On est au pays de la curiosité, en première approche de la connaissance: "Au Muséum National d’histoire naturelle, à Paris, Jean Dorst (chercheur et collaborateur au guide scénaristique) m’avait dit: "Si on veut faire apprendre quelque chose à un enfant, et nous sommes tous des enfants, il faut d’abord connaître et aimer>", explique Perrin. Sans les mots, mais pour ne pas nous laisser dans le noir, ses coréalisateurs Jacques Cluzaud et Michel Debats et lui-même ont donc usé de quelques pirouettes: trois tours virtuels dans l’atmosphère, là où l’horizon devient courbe, pour nous replacer sur la route des migrations; et un vol d’oiseaux juxtaposé à un observatoire pour faire comprendre que la majorité des voyages s’effectue de nuit. Le reste, c’est du pur beurre, du vrai, et du grandiose.

Les petits s’ennuieront peut-être à force de coups d’ailes si souvent répétés; mais qu’importe, vraiment, un peu d’ennui pour autant de merveilles… Avait-on jamais vu le duvet onduler dans le cou d’un fou de Bassan en plein vol? Le ballet des cigognes dans le désert? L’amérissage élégantissime des cygnes chanteurs? Et nos braves bernaches n’ont jamais été aussi émouvantes. Un spectacle inédit. Le Peuple migrateur nettoie le regard, éveille, et donne envie de se défouler sur les chasseurs de palombes…

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