The Cat’s Meow : Coup de griffe
Balade sucrée-salée dans le monde d’Hollywood, à l’époque où les moeurs dégringolaient aussi vite qu’aujourd’hui, mais où la décadence était plus couvée. Un film qui a l’élégance et le feulement d’un chat…
Un noir et blanc soigné, une voix off fataliste, un enterrement plein de stars: ça sent le drame mondain. Ainsi débute The Cat’s Meow, une tragédie chic, joliment ciselée par Peter Bogdanovich, le cinéaste cinéphile d’Hollywood. Si l’on débute en noir et blanc, on passe vite à la couleur, prêt à vivre l’aventure. Que va-t-il se passer sur l’Oneida, le splendide yacht de William Randolph Hearst, le magnat le plus puissant du moment, en ce week-end de novembre 1924? Bogdanovich a adapté une pièce de théâtre écrite par Steven Peros, aussi scénariste du film. On part d’une des légendes les plus croustillantes d’Hollywood, d’une sale affaire encore non élucidée à ce jour. Un événement si peu reluisant qu’Orson Welles le grand (et héros à vie de Bogdanovich) n’en a même pas voulu pour la construction du scénario de Citizen Kane (qui, rappelons-le, est calqué sur la vie de W.R. Hearst).
Le boss, Hearst (Edward Herrmann), et sa maîtresse, la jeune et très jolie actrice Marion Davies (Kirsten Dunst), accueillent à bord pour un week-end de fiesta Charlie Chaplin (Eddie Izzard), qui vient de se planter avec son dernier film et qui a mis enceinte l’actrice principale âgée de 16 ans. Grimpent aussi sur le pont un orchestre de jazz, deux rigolotes pour ces messieurs, quelques tristes sires, la future pire commère d’Hollywood, Louella Parsons (Jennifer Tilly), qui vient de débarquer de New York, et le célèbre producteur Tom Ince (Cary Elwes) qui, en baisse de pouvoir, espère arracher un partenariat commercial à Hearst. Mais ce sujet préoccupe peu Hearst, obsédé qu’il est par une rumeur d’idylle entre Marion et Chaplin. La jalousie fait commettre l’irréparable. Il y a mort d’homme. Aucune des personnes présentes sur ce bateau ne fut jamais interrogée ni arrêtée. Cette histoire est racontée par la suave Joanna Lumley, qui personnifie la non moins suave romancière britannique Elinor Glyn.
Voilà donc qu’on embarque pour un drame, celui-ci jouant sur les règles d’or d’unité de temps et de lieu, et de qui peut tuer qui? car tous sont potentiellement victimes et assassins dans cette histoire. On entre dans le monde sulfureux décrit par Kenneth Anger dans Hollywood Babylon. Assez finement, sur fond de charleston et dans une superbe reconstitution historique, Bogdanovich trace son portrait d’Hollywood. Ça n’a rien du baroque de Lynch dans Mulholland Drive ni du dédale de The Player, mais les points de vue se recoupent. En une scène, Elinor Glyn résume le fond du problème: Hollywood est une machine à corrompre; et il faut envisager ce lieu comme un monstre vivant qui engloutit ceux qui veulent y connaître la gloire, suçant jusqu’à la moelle toute moralité et dignité humaine. Bogdanovich sait de quoi il parle, il a connu les intestins du monstre: la gloire avec The Last Picture Show, What’s Up Doc? et Paper Moon, puis les portes closes à cause de Daisy Miller, et At Long Last Love. Il a aussi vécu sa part de cochonneries quand sa petite amie, la playmate Dorothy Stratten, fut assassinée par son ex. Et The Cat’s Meow renvoie à toutes ces histoires de puissants qui basculent, ceux qui se font tailler le portrait chaque mois dans Vanity Fair. Gloire, jalousie, argent: les enjeux sont trop prenants dans ce coin de Californie pour qu’on y meure tranquillement. Et la fin de Natalie Wood n’est qu’un mystère marin de plus…
Dans ce yacht un peu trop sombre, Bogdanovich sait comment illustrer le dangereux vide de ces vies égoïstes, justes assez torturées car conscientes de toute cette futilité. Ce n’est pas un grand film, mais une promenade qui ne manque pas de piquant ni de répliques brillantes. Plus qu’une ambiance, ce film a un esprit, assez caustique pour être naturel. Kirsten Dunst est ici d’une incroyable vivacité. Le temps d’un film, elle appartient aux années 30, avec son visage de chat et ses yeux mi-clos comme Garbo. Excellent casting aussi pour Hearst: Herrmann est tantôt un gros nounours enfantin, tantôt un homme d’affaires inhumain. Le coup de téléphone final met en lumière la monstruosité du tycoon. L’acteur britannique Izzard est Chaplin, autant dans les gestes, l’intelligence vive que le pouvoir de séduction. Seul le rôle de Jennifer Tilly laisse un peu à désirer, peu habitués que nous sommes à ce que Louella Parsons manque de répartie! À voir pour une histoire bien racontée et pour une bouffée de Tinseltown…
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