Festival de Cannes : Woody et la Croisette
Est-ce l’effet Woody Allen sur la Croisette, une première? Est-ce le 55e anniversaire? Toujours est-il que ce festival-ci est rempli de promesses. À nos loupes…
Imaginez un hypocondriaque septuagénaire qui a des sueurs froides à l’idée de quitter Central Park, pour se retrouver écrasé par les flashs du mur de photographes, englué sur le tapis rouge du Palais des Festivals… C’est une image de Zelig, c’est sûr. Au moment de mettre sous presse, on ne sait pas encore si le cinéaste fait une crise d’urticaire, mais Woody Allen sur la Croisette pour ce 55e Festival International du Film, c’est un événement, la suite de son tour de piste glamour après les Oscars; et une belle entrée en matière pour un festival qui s’annonce stimulant. Après cet Hollywood Ending ouvrant les festivités (beau titre pour un début), un opus un peu faiblard, mais du Allen tout de même, on passe aux choses sérieuses et les Américains s’annoncent comme des figures fortes de la compétition.
On l’attendait de pied ferme: Punch-Drunk Love, le dernier film de P.T. Anderson (Boogie Nights, Magnolia), un des talents les plus marquants de ces 20 dernières années. À voir ce qu’il peut faire en combinant Philip Seymour Hoffman et Emily Watson à… Adam Sandler. C’est inquiétant. Excitation totale aussi pour le film de Michael Moore (Roger and Me), Bowling for Colombine, qui, partant de la tuerie estudiantine au Colorado, attaque de front le lobby des armes aux USA. On espère aussi beaucoup d’About Schmidt, d’Alexander Payne (Election), avec Jack Nicholson et Kathy Bates.
Dans les 21 films en compétition, les Britanniques ont fait très fort. Ou leur service de relations publiques est efficace (plus que le nôtre en tout cas!), ou leurs films sont d’un grand cru, ou bien les deux: nous aurons droit en effet au dernier Ken Loach (Sweet Sixteen) qui fait toujours dans le très social; au dernier Mike Leigh (All or Nothing), qui -évidemment – aborde l’émotion par le biais de la classe moyenne londonienne; et à celui de Michael Winterbottom avec 24 Hour Party People, une comédie musicale déjantée..
À noter également en compétition une position politique dûment équilibrée face au conflit israélo-palestinien, puisqu’on trouve un film palestinien, celui d’Élia Suleiman (Intervention divine), au même niveau que Kedma, d’Amos Gitaï (Kadosh). On va se faire également un plaisir de découvrir les dernières perles de quelques grands noms: Marco Bellochio (L’Ora di Religione); Abbas Kiarostami (Ten); Alexandre Sokurov (Russian Ark); Aki Kaurismaki (L’Homme sans passé), et Roman Polanski, un revenant, qui a adapté une des histoires les plus bouleversantes de l’holocauste: Le Pianiste. La francophonie fait très bonne figure sur papier: les Belges Dardenne, après Rosetta et sa palme, proposent Le Fils; Nicole Garcia présente enfin sa version de L’Adversaire, d’après le bouquin d’Emmanuel Carrère; Robert Guédiguian fait dans le léger avec Marie-Jo et ses deux amours; Gaspard Noé présente le couple Bellucci-Cassel dans Irréversible, et Olivier Assayas (Les Destinées sentimentales) risque de surprendre avec Demonlover, un thriller avec Connie Nielsen, Chloë Sevigny et Charles Berling! Un Manoel de Oliveira (Le Principe de l’incertitude) est de rigueur; et enfin, la schizophrénie est de retour avec Spider, le dernier film de David Cronenberg, avec Ralph Fiennes, en garçon un peu dérangé par son enfance dramatique…
Le Canada anglais a d’ailleurs bien fait ses devoirs, puisque l’autre grand nom du cinéma anglo, Atom Egoyan, est présent avec Ararat, sur le génocide arménien, avec Charles Aznavour. Un film qu’il a choisi de mettre hors compétition, le sujet étant trop intime.
Quelques petites choses aigL); un documentaire très ciblé de l’actrice Rosanna Arquette (Searching for Debra Winger); l’espoir retrouvé à Beyrouth avec Terra Incognita de Ghassam Salhab et, parce qu’il est québécois à la Semaine de la critique, le drame Les Fils de Marie, de Carole Laure. Toujours à la Semaine de la critique, on remarque aussi un film un peu mystérieux, Intacto, avec Max Von Sydow, de l’Espagnol Juan Carlos Fresnadillo, et le documentaire inédit en Italie, et qui risque de frapper fort: Bella Ciao, de Marco Giusti et Roberto Torelli, sur les émeutes génoises au sommet du G8 de juillet 2001.
Pour les fans, Martin Scorsese est présent en tant que président du jury des courts métrages et de la cinéfondation; il ne viendra pas présenter Gangs of New York en entier (seulement 20 minutes), mais sera accompagné de la troupe d’acteurs. Émeutes cannoises à prévoir. Son compatriote de la Côte-Ouest, David Lynch, le primé de l’année dernière, préside quant à lui le jury des longs métrages. Pour décerner la palme, il est entouré de Christine Hakim (actrice indonésienne; l’Inde et Bollywood sont à l’honneur cette année), Sharon Stone, Michelle Yeoh, Bille August, Claude Miller, Raoul Ruiz, Walter Salles et Régis Wagnier.
Bref, en 15 jours, le but du critique est d’essayer de faire les bons choix. Avec 939 longs métrages, c’est parfois une question de cartomancie. Mais la folie commence en fête, car Gilles Jacob, président du Festival, présente son Cinéma Paradiso : Histoires de festival, un film de 26 minutes qui fait revivre les temps forts du Festival de Cannes, de 1946 à 2001. À voir pour le plus beau générique du monde. Et puis, il y aura des hommages à Jacques Tati, et à Alain Resnais (juste avant une rétrospective à la Cinémathèque québécoise). Enfin, puisqu’il faut, en partant, une petite fâcherie pour que les critiques puissent causer durant les interminables files d’attente, en voilà une: l’année dernière, on faisait des gorges chaudes de l’absence d’Amélie Poulain au Festival; cette année, c’est au tour de Habla con ella, de Pedro Almodovar, déjà sorti en salle et déjà méga-coup de cour. Veramos bien… le Festival ne fait que débuter.
Festival de Cannes
Jusqu’au 26 mai
www.festival-cannes.com