Mission Cléopâtre : Supercomix
Avec Mission Cléopâtre, ALAIN CHABAT, au scénario, à la réalisation et sous les lauriers de César, a su rester fidèle à l’esprit de Goscinny et d’Uderzo, tout en signant un film somptueux, inventif et surtout extrêmement drôle. Potion magique.
Hitchcock disait qu’il valait mieux adapter des livres médiocres au cinéma. Il aurait peut-être changé d’idée s’il s’était inspiré d’Astérix et Cléopâtre, probablement l’un des meilleurs des 30 albums d’Astérix, diffusés à 280 millions d’exemplaires dans le monde. Déjà portées à l’écran, en 1968, dans un superbe dessin animé musical, les aventures du petit râleur, du gros invincible, du druide centenaire, de l’architecte gaffeur et de la reine d’Égypte sont maintenant à savourer en chair et en os. Et elles sont savoureuses.
Travaillant d’arrache-pied sur le DVD du film, Alain Chabat a dû annuler, à la dernière minute, sa venue à Montréal. Joint au téléphone à Paris, le cinéaste s’en excuse, et raconte que c’est Claude Berri, producteur d’Astérix et Obélix contre César, qui lui a proposé ce second volet. "Il savait que j’étais un fan de la BD, que je connaissais bien cet univers, et que je rêvais, depuis longtemps, de faire une comédie spectaculaire. Je voulais sortir du village, et avoir des pirates. Et puis, j’avais aussi très envie de travailler avec Jamel, alors on a cherché un album où on pouvait l’intégrer. On aurait pu choisir Astérix légionnaire ou Astérix gladiateur, mais Claude Berri a tranché pour Cléopâtre, parce que c’est l’album le plus cinématographique."
"Jamel", c’est Jamel Debbouze, phénomène comique français, mieux connu ici sous les traits du livreur de l’épicerie d’Amélie Poulain. Dans Mission Cléopâtre, il éclipse totalement Clavier et Depardieu: énergique, hilarant, véritable Louis de Funès du XXIe siècle. Il incarne Numérobis, architecte lunatique, qui fait appel à Panoramix (Claude Rich) afin qu’il l’aide à terminer à temps le somptueux palais que Cléopâtre (Monica Bellucci) lui a commandé, question de clouer le bec à César (Alain Chabat), et de lui prouver que les Égyptiens forment le plus grand des peuples. L’architecte de la reine, Amonbofis (Gérard Darmon), mettra tout en oeuvre pour que le projet échoue, et que son rival soit jeté aux crocodiles.
Il y a quatre ans, le plaisir du "premier" Astérix tenait essentiellement à celui des retrouvailles. Ici, on est en plein dans ce qui fait, depuis 40 ans, le succès de la bande dessinée. Chabat et son équipe ont su transposer, pour le cinéma, la précision du dessin, l’inventivité des histoires, l’humour des dialogues, les anachronismes délirants, les références jouant sur tous les tableaux – enfantin, culturel, historique, etc. -, et cet esprit qu’on dit gaulois, réactualisé à la sauce 2002. Que ce soit Jamel Debbouze qui l’incarne, encore mieux que Depardieu ou Clavier, pourrait clouer le bec aux lepénistes de l’Hexagone…
À sa sortie, en janvier dernier, Mission Cléopâtre était le plus film le plus cher du cinéma français. Le plus admirable, c’est que l’ampleur de la production n’ait pas étouffé le film. Comment Alain Chabat, réalisateur d’un seul film, plutôt intimiste (Didier), a-t-il navigué sur ce paquebot? "C’est comme un casse-tête de 1500 pièces, dit-il. Si on le regarde d’un seul coup, c’est la panique. Alors, on commence par les coins, et puis après, on fait les bords, et ainsi de suite."
L’histoire est riche en rebondissements, les effets spéciaux sont beaucoup plus convaincants que dans le premier Astérix, les décors d’At Hoang et les costumes de Liberatore et de Philippe Guillotel sont à couper le souffle, et la musique de Philippe Chany est digne des meilleurs péplums; mais la grande réussite de Mission Cléopâtre, c’est le dosage de l’humour. Si James Brown y chante I Feel Good, si on y fait référence aux cellulaires, à Malcomix, à The Matrix, à Star Wars, c’est toujours parfaitement intégré, jamais au détriment de l’histoire. "C’est comme dans les albums, explique Chabat. On peut les lire à 10 ans, 20 ans ou 40 ans, et découvrir de nouvelles choses à chaque fois. Les enfants ne se sentent jamais oubliés, et les adultes non plus. J’ai coupé des petites scènes marrantes, mais qui faisaient trop référence au monde des adultes. Je voulais respecter ce rythme-là, de n’avoir jamais plus de trois gags consécutifs du même genre."
On se rend compte à quel point la transposition est réussie quand on constate que l’univers d’Astérix se fond parfaitement à celui de cette génération, nourrie de culture populaire et d’absurde, de provocation et de folie douce, qui marque le film. Un peu comme si RBO avait réalisé "un film de Romains". Maintenant, tout ce qu’on nous souhaite, c’est qu’Alain Chabat s’attaque à Astérix légionnaire ou Astérix gladiateur.
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