Irréversible : Violence annoncée
Cinéma

Irréversible : Violence annoncée

Une voix douce, un débit très rapide, comme une crainte de laisser des silences dans la conversation: Gaspar Noé vient lancer son film à Montréal. Il avait besoin d’être là, car on n’a pas tout compris. Qu’est-ce qu’Irréversible?

Une voix douce, un débit très rapide, comme une crainte de laisser des silences dans la conversation: Gaspar Noé vient lancer son film à Montréal. Il avait besoin d’être là, car on n’a pas tout compris. Qu’est-ce qu’Irréversible? Il est le film qu’il fallait avoir vu à Cannes pour démarrer une conversation; le film dont on a planifié le scandale; le film qui met en scène un vrai couple de stars, Monica Bellucci et Vincent Cassel; et le film qui débute par deux scènes difficiles: un massacre à l’extincteur opéré par Albert Dupontel sur un dénommé Ténia, et un viol de plus de 10 minutes par ledit Ténia sur la personne de mademoiselle Bellucci.

Que veut-on nous montrer: Que l’homme est un loup pour l’homme? Que le spectateur, un voyeur taré? Que la société en est arrivée là? Qu’avait dans le ventre ce réalisateur? "J’avais envie de tourner avec Monica, de faire des plans-séquences, de tourner une scène de viol. J’avais envie de jouer", répond le réalisateur de Seul contre tous, qui enchaîne aussitôt avec de multiples références (Kubrick, P.T. Anderson, le début de La Soif du mal, Deliverance, Soy Cuba, Fassbinder et Pasolini, etc.). On n’en demandait pas tant… Pas autant de noms, lancés comme des béquilles: comme si l’on mettait beaucoup de précautions autour d’un film instinctif, sur le primitif du comportement humain. Virginie Despentes ne s’est pas embarrassée, elle, en réalisant Baise-moi. Gaspar Noé joue par contre la légèreté dans son discours: il fait de la petite philo: "La morale est un code que s’imposent les hommes, ça n’existe pas dans la nature"; il se défend de choquer pour choquer: "La violence au cinéma est ritualisée, on y a pris l’habitude; les codes sont désuets. Et dans quelques années, je serai aussi complètement désuet." Et il n’avait pas l’intention de créer le débat: "Au niveau des événements, j’arrive entre les élections, et la France qui a perdu contre le Sénégal." N’empêche, il voulait être à Cannes et se dit déçu que Monica Bellucci n’est pas reçu le prix d’interprétation… Quand l’innocence semble calculée, l’entreprise frise l’entourloupe. La meilleure preuve est qu’Irréversible s’oublie sitôt terminé.

Cette amnésie vient surtout d’une mise en scène snob et clinquante. On raconte une histoire à l’envers, du sordide au bonheur, et on veut faire passer ce caprice pour une compréhension différente des personnages. Le gars qui écrase un mec en bouillie devrait donc être perçu comme plus sympathique (excusable?) si on voit les conséquences avant les causes… Cela ôte simplement le suspense, et fait de la seconde partie un très long moment d’ennui. Des plans-séquences sanguinolents et hypnotiques pour exprimer l’enfer et une caméra aérienne avec la Septième de Beethoven pour le bonheur ne sont réellement d’aucune originalité. Reconnaissons cependant un beau générique, chose rare en France.

Dans le fond, c’est plus cohérent, mais pas nouveau: si Gaspar Noé, qui n’a pas 40 ans, déclare son admiration pour le génie de Kubrick, il ne semble pas en être son descendant, mais plutôt celui du héros d’Orange mécanique. Car Noé n’est pas celui qui vient présenter une vision nouvelle sur l’humanité, mais celui qui la véhicule. Il est le petit-fils de l’Alex d’il y a 30 ans, et non celui qui dirige les opérations. Sujet, et non créateur. Il se veut un filtre du réel en montrant que l’homme civilisé n’est que le verni d’une bête raciste et homophobe et que l’éternel féminin est toujours une proie (un trou: on lui fait un enfant ou on la viole). C’est du primitivisme, mais déjà vu avec Les Chiens de paille et Deliverance. Et l’esthétisme n’est plus que du plâtre sur une jambe de bois. Irréversible en dit plus long sur notre capacité à supporter le conventionnel avec un emballage neuf que sur le talent de son auteur.

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