Amen. : Qui ne dit mot consent
Cinéma

Amen. : Qui ne dit mot consent

Dans son dernier film, COSTA-GAVRAS pose un regard critique sur une page sombre de l’Histoire. Sans déchaîner les passions, mais par une approche classique et systématique, aussi grave que convaincante, il met en lumière une réalité dérangeante.  Amen.

C’est Amen. Avec un point qui suit le mot. En le disant, on baisse le ton, fermement. C’est une invitation à clore la discussion. Il n’y a pas grande ferveur religieuse dans cet amen-là. Et pour cause: Costa-Gavras a décidé d’illustrer au cinéma un point noir de l’Histoire, le mutisme de l’Église catholique durant la Seconde Guerre mondiale, par rapport au génocide juif et aux camps d’extermination. Il a bâti son film sur trois personnages, dont un réel: Kurt Gerstein (Ulrich Tukur), membre de la Waffen SS, chef du service technique sanitaire, et fervent protestant. Après avoir vu les exterminations en cours aux camps de Belzec et Treblinka, il tente de saboter les livraisons de Zyklon B, alerte un diplomate suédois, informe l’Église protestante, puis tente de rencontrer le nonce du pape. En vain. Espion de l’intérieur qui n’a pas changé le cours de l’Histoire et qui fut arrêté pour crime contre l’humanité, il écrivit un rapport qui servit de preuve à Nuremberg. Mais le Vatican resta muet et 60 % de la population juive européenne fut exterminée. Le film s’appuie sur la pièce de théâtre Le Vicaire, de Rolf Hochhuth, qui, en 1963, fit connaître Gerstein au grand public. Les autres héros d’Amen. sont des amalgames: Ricardo (Mathieu Kassovitz, intense) est un jeune jésuite qui ne sait comment toucher le chef suprême de l’Église, le pape Pie XII, afin qu’il mobilise l’opinion mondiale. Le troisième enfin, Costa-Gavras le présente comme le représentant de l’Histoire en marche, un docteur cynique (Ulrich Mühe) sur qui tout glisse et qui survit à tout.

Avec ce trio, le réalisateur de Z construit un film très classique. Classique comme une tragédie grecque. Après la mise en place d’une donnée générale, puis privée (les scènes du début; celle où le juif Stephan Lux se suicide à l’Assemblée des Nations à Genève pour alerter l’opinion, et celle où Gerstein découvre "l’euthanasie" de sa nièce handicapée), on avance, coincé, anticipant le destin des uns et des autres. Costa-Gavras opte d’ailleurs pour un décor théâtral, notamment dans les antichambres du pouvoir, labyrinthe à colonnades; pour des plans fixes et larges, ne privilégiant que quelques gros plans, entre autres celui appuyé sur le visage d’officiers allemands, dont Gerstein, qui regardent les effets du Zyklon B sur les juifs; et en usant d’un artifice visuel répétitif: le train de marchandises qui passe vide devant les yeux de Gerstein, puis qui repasse, tantôt plein, tantôt vide, marquant les progrès et la rapidité de l’extermination.

Ce procédé est à l’image du film, efficace et consciencieux, lourd parfois. Amen. n’est pas un film soufflant, qui décoiffe comme l’image de l’affiche peut le faire. On ne cherche pas à bouleverser à tout prix (Shindler’s List, La vie est belle): on cherche à convaincre de la gravité de la situation, à questionner les fondements d’une société, et toujours chez Costa-Gavras, à opposer l’humain au système. L’intention se trouve dans la poursuite précise de deux plans: l’élaboration marquante d’une critique et l’élaboration crédible d’une montée dramatique. La critique politique comme la construction fictionnelle s’appuient sur un autre duo, bien réel celui-là, l’État nazi et l’État Vatican. Avec les deux héros en plus, la construction est d’une solidité à toute épreuve, carrée comme un fort. Pour avoir envie d’en savoir plus sur les archives encore secrètes du Vatican durant cette période. Voilà un film sérieux comme une thèse, et plus sobre que sombre.

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