Visitor Q : Jeu de massacre
Avant qu’il ne choque la galerie avec Irréversible, Gaspar Noé avait réalisé Seul contre tous, un des films les plus radicaux des 10 dernières années, un brûlot animé par un vrai discours, et qui, malgré certaines complaisances, avait de la rigueur et un point de vue sur le monde. On pourrait dire les mêmes choses de Visitor Q, de Takashi Miike, découvert et primé au dernier festival Fantasia.
Avant qu’il ne choque la galerie avec Irréversible, Gaspar Noé avait réalisé Seul contre tous, un des films les plus radicaux des 10 dernières années, un brûlot animé par un vrai discours, et qui, malgré certaines complaisances, avait de la rigueur et un point de vue sur le monde. On pourrait dire les mêmes choses de Visitor Q, de Takashi Miike, découvert et primé au dernier festival Fantasia. À 42 ans, et autant de films, le cinéaste japonais est aussi polyvalent que productif. Après Dead and Alive 1 et 2, films de yakusas stylisés, et Audition, étude impitoyable de la vengeance d’une femme violée, Miike change de registre, et réalise, sur un scénario d’Itaru Era, une satire féroce sur la famille.
"Avez-vous déjà couché avec votre père?" C’est ainsi que débute ce film où l’on voit un homme coucher avec sa fille prostituée, avant que celle-ci ne l’engueule parce qu’il a joui trop vite! Malaise et rire nerveux: les jalons de ce film inclassable sont posés, et le spectateur ne sait plus sur quel pied danser face à cette comédie macabre où l’inceste, le meurtre et la nécrophilie marquent le parcours initiatique d’une famille plus que dysfonctionnelle vers une certaine harmonie.
Après s’être filmé en train de faire l’amour avec sa fille (Fujiko), le père (Kenichi Endo) est frappé à la tête par un jeune homme (Kazushi Watanabe), qu’il ramène, bien sûr, à la maison. Ce dernier, le "visiteur Q" du titre, changera radicalement la vie de cette famille disjonctée, où la mère (Shungiku Uchida), héroïnomane et prostituée occasionnelle, est rouée de coups par son jeune fils (Jun Mut), lui-même martyrisé par les enfants du quartier. Ça tombe bien, le père, reporter à la télévision, veut faire un documentaire sur la violence chez les jeunes! Dans les bras du visiteur, la mère découvre l’orgasme en faisant jaillir du lait de ses seins, tandis que son mari tue sa maîtresse, et la viole – dans cet ordre-là! C’est dans l’adversité que les liens se renforcent, et la petite famille fera front commun afin de trouver une solution à deux épineux problèmes: Comment dégager le sexe du paternel, coincé dans le cadavre refroidi, et que faire de la dépouille?
Si l’on peut évoquer les noms de Bataille, Pasolini et Buñuel pour situer ce film où la mort, le sexe et la famille sont étroitement liés, c’est celui de Marco Ferreri qui colle le mieux à l’univers grotesque et provocateur de Visitor Q. Réaliste dans sa facture (avec son cachet Dogma), moderne dans sa mise à nu des égarements des "reality shows", cette farce allégorique se rapproche du ton de La Grande Bouffe, sans le pessimisme du cinéaste italien. Contre toute attente, alors que Takashi Miike manie admirablement la provocation et le paradoxe, il insuffle à ce jeu de massacre en règle une réelle poésie, et démontre même une certaine tendresse pour ces personnages monstrueux. Un film surprenant et dérangeant, qui renoue avec l’intransigeance du cinéma européen des années 70.
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