Windtalkers : Autant en emporte le vent
Autour de l’implication des Navajos pendant la Seconde Guerre mondiale, sujet riche et porteur, John Woo a réalisé un film bancal qui ne satisfera que les amateurs d’explosions. Dommage.
Après la guerre du Viêt Nam, Hollywood ne pouvait plus, de façon crédible, produire des films de guerre comme dans les 25 années précédentes. Entre le patriotisme exacerbé de Green Berets, de John Wayne, et la folie meurtrière d’Apocalypse Now, de Coppola, le genre était écartelé. Windtalkers, de John Woo, se situe quelque part à mi-chemin entre les deux, avec son antihéros suicidaire, bon soldat et tête brûlée, ses explosions spectaculaires, proches du feu d’artifice, et le drapeau américain qui flotte, imperturbable.
L’enjeu d’un grand film de guerre est toujours moral, dans le discours comme dans la forme.
L’idée de départ de Windtalkers est extrêmement intéressante, mais le scénario de John Rice et Joe Batteer l’est, hélas, beaucoup moins. Pendant la Seconde Guerre mondiale, sur le front du Pacifique, les "windtalkers" étaient des indiens navajos, affectés au décryptage d’un langage codé utilisant leur langue maternelle. En 1943, un bataillon de marines est envoyé sur l’île de Saipan, occupée par l’armée japonaise. Tout frais sortis de leur réserve, deux Navajos (Adam Beach et Roger Willie) sont sous la protection de deux soldats d’expérience (Nicolas Cage et Christian Slater), qui ont ordre de protéger avant tout le Code, plutôt que les décodeurs, et qui devront tuer les deux Indiens, aussitôt que ceux-ci seront menacés d’être capturés par les Japonais.
Moins efficace que Saving Private Ryan, moins manichéen que Pearl Harbor, moins stylisé que The Thin Red Line, et moins confus que Black Hawk Down, Windtalkers est un film de guerre à numéros, qui aligne une scène de bataille, une scène intimiste, une scène de tuerie, une scène de dialogues, et ainsi de suite pendant deux heures et quart. Au point que cette alternance systématique donne l’impression de voir deux films en parallèle. Après Broken Arrow et Face/Off, John Woo, le Sam Peckinpah du film d’action, le spécialiste des frères ennemis, l’amateur de vol d’oiseaux à portée symbolique, s’efface derrière la machine hollywoodienne. En fait d’oiseaux, on ne voit que quelques mouettes égarées, les tueries au ralenti sont quasi inexistantes, et la relation ambiguë entre les Navajos et leurs gardes du corps souffre de la médiocrité d’un scénario qui va à la fois trop lentement et trop vite. Trop lentement parce que le développement des personnages traîne en longueur, et trop vite parce que les nombreux revirements psychologiques du marine incarné par Nicolas Cage ne sont pas plausibles, et que le comédien en fait des tonnes. Plus son cachet augmente, plus il nous la joue Actor’s Studio, du genre "Tu la sens bien, l’intensité de mon personnage?". À ses côtés, Slater n’a pas grand-chose à faire, Adam Beach sourit à pleines dents, afin qu’on saisisse bien l’enthousiasme de cet Indien luttant pour ceux qui ont détruit son peuple, et c’est Roger Willie, artiste navajo qui n’avait jamais joué auparavant, qui s’en tire le mieux.
En plus de l’insupportable musique de James Horner (Titanic), les dialogues sont souvent ridicules, et plusieurs scènes sentent le réchauffé – on aurait pu se passer du soldat qui donne son alliance à son copain, en lui disant, le regard embué par l’émotion: "S’il m’arrive quelque chose, peux-tu remettre ça à ma femme?" Cela dit, Windtalkers ne prétend pas révolutionner le genre, et ça explose de partout. Ici, on est plus proche de la guerre de tranchées de 14-18, et de la guerre d’embuscades du Viêt Nam, que des vastes déploiements associés à la Seconde Guerre mondiale. John Woo filme les combats de près: les baïonnettes transpercent les cages thoraciques, les corps se tordent sur le sol, et le sang gicle. Malheureusement, malgré l’ampleur des moyens, c’est filmé sans grande imagination. On était en droit d’attendre un peu plus de la part du réalisateur de The Killer.
Entre la tragédie shakespearienne et le jeu vidéo, entre l’existentiel et le spectaculaire, le film de guerre est un genre qui a donné des chefs-d’oeuvre, et une flopée de films aussitôt vus, aussitôt oubliés. Windtalkers fait, hélas, partie de la seconde catégorie.
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