Elle a de la suite dans les idées, Coline Serreau. Quand elle ne s’égare pas dans des divagations hippies (La Belle Verte), elle fonce comme un taureau. Trois hommes et un couffin (1985): les hommes n’ont pas d’autre choix que d’évoluer; Romuald et Juliette (1988): le racisme a un nouveau visage; La Crise (1991): le couple passe par le cap Horn en grinçant; et maintenant, Chaos: l’oppression et l’indifférence sociale ne sont pas des voies envisageables. Et toujours, en leitmotiv, une seule idée: la femme n’a qu’un avenir, celui qu’elle se forge.
La gifle fémino est cinglante dans un pays où, s’amuse la réalisatrice, bon nombre de gars ne savent toujours pas repasser leur costume en lin… D’ailleurs, ils sont marrants, ces apartés d’un machisme en disparition. Serreau flirte toujours intelligemment avec l’anecdotique et la drôlerie. Mais au contraire d’un Tanguy qui reste dans la comédie, elle se sert de bons mots et de situations cocasses comme d’un écran pour sonder plus profondément le dramatique. Avec Chaos, elle charge avec une histoire à la fois alambiquée et haletante, invraisemblable et honnête, qui fonctionne comme un exercice collectif de résurrection; d’où le titre, très big bang: en prémisse, Hélène et Paul (Catherine Frot et Vincent Lindon), un couple parisien, bourgeois et bosseur, n’offrent aucune assistance à Malika (Rachida Brakni), prostituée, qui se fait tabasser sous leurs yeux, alors qu’ils se sont enfermés dans leur voiture. Hélène va aider Malika à survivre, puis à fuir ses proxénètes. Pour cela, elle va abandonner mari et fils (Aurélien Wiik), de plus en plus petits dans leurs souliers.
Serreau attaque sur tous les fronts: racisme, intégration, esclavagisme des femmes dans un islam borné, sort des femmes dans une bourgeoisie étriquée, relation homme/femme au point mort, relation familiale désactivée, prostitution, trafic de femmes, police molle et banque dure: on peut parler ici d’une surabondance de thèmes, mais la réalisatrice ne s’y perd pas, n’abandonne pas l’un pour les autres, et si tous n’ont pas la même importance à ses yeux, elle les croque tous avec férocité. On sent alors que seules l’oppression et la colère servent de guide dans ce dédale. La dame n’est pas tendre, et les soucis mis bout à bout donnent un portrait peu réjouissant d’une société déshumanisée qui patine.
Pourtant, la facture demeure dynamique, vive, rythmée (par un peu trop de musique – St-Germain-, mais quand même). Codé comme un thriller, Chaos captive parce qu’on veut voir l’étendue de la victoire des gagnantes. Dès le début, on connaît les héroïnes, mais on veut savoir jusqu’où se jouera le jeu de la puissance! En effet, le film est monté comme un Comte de Monte-Cristo au féminin: le chemin de la résurrection, métamorphose de victime en manipulatrice, fonctionne selon la logique vengeresse d’Edmond Dantès. Cette renaissance est multiple, répercutée dans les attitudes de rejet face aux hommes: Malika, dégoûtée; Zora (Hajar Nouma), sa petite soeur, choquée; Hélène, fatiguée; et Mamie (tendre Line Renaud), déçue. Et puis, il y a des poursuites, des attaques (violentes), des règlements de comptes qui rappellent la saga de Dumas père.
Cela dit, Chaos ressemble à la charge d’une brigade pas particulièrement légère. Mais ce serait tomber à côté de la plaque que de traiter ce film de simpliste. D’abord, parce qu’il est fort complexe dans ses multiples avenues et finement joué (Frot et Lindon en tête); ensuite, parce qu’on sent qu’il est représentatif d’un ras-le-bol social qui, pour réveiller les apathies, ne compte plus sur la diplomatie, les ronds de jambe et les compromis. On ne peut plus faire dans la dentelle pour se faire comprendre, nous dit la réalisatrice: la société est une plaie ouverte et les femmes seules peuvent empêcher l’indifférence de régner. Point à la ligne. D’où les derniers plans, limite kitsch, des quatre femmes face à la mer. Les hommes, qu’ils soient flics, proxénètes, père ou fils (et les quatre sont souvent assimilés), se retrouvent complètement bernés. En gros, ils peuvent crever. C’est aussi violent que ça. Ici, la politique à la fois fantaisiste (plaisir de voir) et glaciale (déplaisir d’être dérangé) de Serreau n’a jamais été aussi efficace, et son honnêteté, directe.
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