Minority Report : Poids lourd
Cinéma

Minority Report : Poids lourd

Dernier film de STEVEN SPIELBERG, blockbuster noir de l’été, Minority Report est un film noir époustouflant, mais trop gras pour être grandiose…

Minority Report

est le dernier film de Steven Spielberg. Cela devrait faire sa 42e réalisation depuis le début des années 60. Avec deux projets en chantier, Indiana Jones 4 et Catch Me If You Can, il travaille toujours aussi vite. Et aussi bien. Mais sa gloutonnerie semble avoir un effet pervers: Minority Report est un superbe film… mais trop gros. Voici un exemple frappant de cinéma obèse. Attention: on l’aime, malgré ses surcharges disgracieuses! Il décoiffe. Les bonnes idées et les plans soignés restent gravés. Mais on rêve dès maintenant d’un DVD qui contiendrait un Director’s Cut régime minceur, une liposuccion artistique…

Un polar classique
Grosse histoire en partant: Minority Report est tiré d’une nouvelle de Philip K. Dick, le drôle de type qui avait écrit les récits de Total Recall et de Blade Runner. Encore une affaire de futur et d’identité bousculée: le détective John Anderton (Tom Cruise) dirige l’unité qui arrête les criminels avant que ceux-ci aient commis le crime. Trois devins fournissent à l’équipe les noms des criminels et des victimes en devenir. Tout fonctionne très bien jusqu’au jour où Anderton est désigné comme futur assassin. Il doit alors déjouer le système mis en place, comprendre comment se joue le jeu des devinettes avec l’aide d’Agatha (Samantha Morton), la plus bavarde des trois devins, et découvrir le pot aux roses pour prouver son innocence. Bien sûr, il y a quelque chose de surhumain dans cette bataille d’un héros prêt à tout (il a connu la douleur, son fils de six ans a été tué), genre d’Oreste qui consulte les oracles, contre un monde de plus en plus systématisé et arbitraire. Et Spielberg, qui a toujours quelques réminiscences de vieux maîtres (Hawks, Kubrick, Hitchcock), est capable de construire avec ça un superbe film noir bien codé. On retrouve à peu près tous les personnages du genre, sauf la femme fatale: l’autorité rassurante (Max Von Sydow), le scientifique qui connaît les origines (une femme, Lois Smith, que l’on découvre dans sa serre, comme dans The Big Sleep), le jeune loup qui veut le coincer (Colin Farrell), l’épouse en souffrances (Kathryn Morris), le malfrat reconverti dans son monde louche (Jason Antoon) et même le docteur déchu et véreux, rôle qui revenait souvent à Peter Lorre (Peter Stormare). Malheureusement, Tom Cruise est moins calme que Bogart et moins nonchalant que Cary Grant.

Musique très Bernard Herrmann de John Williams qui (ô bonheur) est d’une sobriété gracieuse; montage impeccable (première scène de "vision d’un meurtre"); caméra nerveuse qui capte des moments de pure délice (virevoltante dans une bataille de ruelle entre les gars de l’équipe pré-crime et leur boss qui veut s’enfuir; à la poursuite de Cruise au milieu des voitures; prenant tous les angles possibles quand des… bibittes-scanners cherchent de la chair fraîche dans un immeuble trop pourri pour être plausible; et racée sur une embrassade entre Cruise et Morton). On reste sous le charme des tonalités signées Janusz Kaminski (imageant son sixième Spielberg) qui, en réduisant l’éclat des couleurs pour ne garder que les gris et les bleutés, renforce cette idée de réalité telle qu’on ne peut la concevoir qu’au cinéma. C’est à la fois sombre, glauque, et très chic. D’ailleurs, les incursions de couleurs "naturelles" des extérieurs font taches. Mentionnons aussi les effets spéciaux qui ont du Star Wars dans le dessin, mais qui n’en sont pas moins extra: parlez-moi d’une innovation visuelle que ce gant à trois doigts capable de "commander" aux images et la beauté très mollusque des hélicos de la police!

Surcharge pondérale
Mais qu’avait besoin Spielberg d’allonger la sauce d’un scénario solide, qui – même si on en devine les ficelles – n’en est pas moins exaltant? Ce metteur en scène excelle quand il raconte une aventure et qu’il ne mélange pas trop les genres (Close Encounters, les Indiana Jones, Jaws, Saving Private Ryan, E.T. sont des monolithes). Dans A.I., l’année dernière, on avait dit que la double paternité (Spielberg, Kubrick) éparpillait le film, mais on sait que Spielberg est capable de s’éparpiller tout seul, quand il se laisse aller à de la dramatisation superflue: pourquoi, au milieu d’un film noir, d’un thriller haletant, venir ralentir les machines avec de la bouffonnerie (des yeux qui roulent sur le plancher dans un moment tragique ou une assistante de docteur sortie d’un film de Mel Brooks), et du romantisme larmoyant (des souvenirs d’un enfant racontés par Agatha à des parents meurtris sont de trop, en fin de parcours)? Ou pire: que dire des positionnements de produits (Gap, Pepsi, Lexus, etc.) que l’on voudrait "incrustés" à la manière de Blade Runner – comme vus en passant – mais qui forment ici de vraies scènes, véritables plages de pub? Incompréhensible et lourd. Rageant, en fait, car c’est un corps d’athlète engraissé pour rien: au lieu de grandir le film, ces digressions malhabiles et mal amenées au genre principal le banalisent. Minority Report, serré à l’essence d’un bon polar, aurait été grandiose sur une heure trente. Il a juste une heure de trop sur la balance…

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