Pumpkin : Mauvaise conduite
Cinéma

Pumpkin : Mauvaise conduite

Sérieux comme un mélo avec Lana Turner. Sucré comme une romance pour adolescents. Mais aussi absurde, humain et lucide: Pumpkin est un film intelligent en équilibre sur les genres. À voir.

Sur quel pied danser? Avec Pumpkin, premier long métrage des scénaristes de Dead Man on Campus, Adam Larson Broder et Tony Abrams, il est presque impossible de savoir exactement à quoi s’en tenir. Et c’est fort agréable. L’histoire se résume à une reine de l’école, le modèle parfait de l’Américaine BCBG, Carolyn (Christina Ricci), qui, conformément aux souhaits de sa sororité, doit prendre en charge un handicapé mental pour l’entraîner en vue d’une compétition sportive. Carolyn s’occupe donc de Pumpkin (Hank Harris). Si Pumpkin tombe immédiatement amoureux d’elle, la réciproque viendra sur le tard et avec beaucoup de chamboulements. Happy end, d’accord, mais il sera sucré-salé.

D’emblée, on pense avoir affaire à une romance de type high school, un truc Clueless et rose bonbon. Mais ce n’est qu’une impression de surface, un vernis posé sur tout le film. En surfant sur la trame "romance adolescente", on goûte rapidement à la sauce pimentée de la caricature, du drame mélo très coloré à la Douglas Sirk, avec des pointes piquantes dans le genre gothique! Il est impossible ici de s’asseoir confortablement dans un genre. Dans cette ambiance Rebel Without a Cause survoltée et tordue, chaque personnage est présenté comme un archétype superficiel, à qui l’on a donné tous les attributs physiques de rigueur: Carolyn est blonde et dynamique, son mec est champion de tennis et ressemble au Ken de Barbie, sa meilleure amie est grosse et mélancolique, sa mère est impeccable et insouciante, son père est presque muet et a les cheveux poivre et sel, etc. Tous sont habillés comme les héros de West Side Story ou comme n’importe quelle pub vantant l’American way of life des années 50. Cela renforce l’irréalité, mais surtout l’intemporalité du film. Ni cellulaires, ni télés, ni ordinateurs ne viennent s’encastrer dans le paysage; pas de références culturelles récentes, excepté un cours de poésie: en nettoyant le film de ces détails qui forment souvent le noyau des romances actuelles, on met clairement en lumière l’immuabilité des codes sociaux qui influencent, dès l’adolescence, l’appartenance à un milieu social. Rien que sur l’importance des sororités et fraternités dans le mode de vie des Américains, Pumpkin fait date.

À la première apparition de chaque nouveau personnage, on se rassure. On se sent en terrain connu. Mais il suffit d’une scène ou deux pour ressentir le malaise: ces caractères ne sont pas aussi benêts qu’ils en ont l’air. Plus que le look Legally Blonde, et le grincement de ton mi-Todd Solondz, mi-Alexander Payne, on trouve une dose d’humanité surprenante dans Pumpkin: à tour de rôle, tous sont méchants, inquiétants, stupides, sympathiques et sensés. Ils réussissent à être crédibles et profonds dans un film complètement décalé, entre satire et hommage, aussi drôle que méchant. Comme la mère trop aimante de Pumpkin (Brenda Blethyn), à la limite de la dépression; comme ce petit ami (Sam Balls) qui, sous son visage en plastique d’une stupidité crasse, peut démontrer une vraie sensibilité. Et comme chaque personnage s’évade vite de son cadre trop parfait, chaque scène décolle des tics habituels, la tension ne baisse donc jamais. Les auteurs ont trouvé le truc pour à la fois tordre chaque cliché avec précision et pointer des traits humains avec réalisme. Bizarre, mais on reste sur le qui-vive.

En fait, la seule chose que ne réussit pas à faire Pumpkin, c’est émouvoir. Effet voulu, car l’histoire d’amour entre Carolyn et Pumpkin n’est que secondaire; le sujet principal reste ce que les Américains nomment un awakening movie, l’éveil aux dures lois de la vie d’une ravissante idiote. Et puis, rien n’est fait pour qu’on y croie vraiment à cette romance. Durant tout le film, Carolyn considère cet amour comme une tocade malsaine, un accroc dans son parcours sans tache. Elle veut s’en défaire. Voyant que cela est impossible, elle assume les conséquences, à contrecoeur. Et le film se termine sur le regard sombre de l’héroïne qui assume ses sentiments; elle a enfin gagné son indépendance… et tout le paquet de troubles qui va avec. Bienvenue dans le monde adulte.

Pumpkin ressemble à un film qui a digéré toutes les bluettes, les plus sucrées possible, mais qui a aussi compris la noirceur de The Graduate; et qui recrache un tableau à la fois kitsch et chaleureux à une époque culturelle où l’on est revenu de tout, surtout du deuxième degré. On ne provoque pas pour provoquer, derrière le bouleversement des genres, on cherche encore l’humain. On comprend donc pourquoi Francis Ford Coppola et American Zoetrope ont donné le feu vert à cette excellente bizarrerie.

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