Québec-Montréal : Sans freins
Cinéma

Québec-Montréal : Sans freins

C’est un film de gars sur des gars; un road-movie avec un peu de filles; une promenade sur la 20 entre cul et coeur; une idée de trois copains: RICARDO TROGI, PATRICE ROBITAILLE et JEAN-PHILIPPE PEARSON. On peut aussi se servir du film Québec-Montréal pour rigoler et prendre le pouls du moment. Entrevue loufoque.

Il en manque un. Pearson est encore en Italie au moment de l’entrevue. Il y vit, et fait de l’impro là-bas. C’est presque mieux, en fait, parce que vu comment les deux qui restent mangent les phrases l’un de l’autre, cela eût été laid… On parle de copains qui viennent de Québec, rencontrés à la ligue d’impro au début des années 90, et qui se retrouvent aujourd’hui sur le devant de la scène parce qu’ils ont des idées qui marchent. La dernière à ce jour s’appelle Québec-Montréal, un long métrage qui cristallise avec humour les petits bobos du couple. Ricardo Trogi réalise, Patrice Robitaille et Jean-Philippe Pearson jouent, et le film s’est écrit à trois, le temps de l’été 1999. Ensemble, ils ont poli une histoire de voitures et de gars sur l’autoroute 20. Au début, il y avait 17 véhicules, avec plein d’aventures secondaires, dont un meurtre après une épluchette de blé d’Inde. Et puis, ils sont devenus raisonnables, se limitant à un état de la relation amoureuse par voiture, avec la rupture en bouquet final qui s’étale sur tout le cortège.

L’humour potache, le bavardage intelligent, le goût de l’absurde, les envolées pas vraiment contrôlées, les mots cyniques comme les bonnes formules: les auteurs sont à l’image du film. De leurs films, en fait, car il y avait déjà ce ton unique, à la fois pesant et léger, dans les courts métrages de Trogi, avec le maniaque sexuel hyper sérieux de C’est arrivé près de chez nous; l’engueulade au resto d’Il Tango della neve; le switch homme-femme dans One Night; ou la douleur d’une rupture – même virtuelle – dans Second Chance (qui est allé faire un tour à Cannes en 2000). On rit jaune, les idées sont brillamment illustrées et les acteurs, bien dirigés. Robitaille et Pearson, excellents, sont des habitués. Et outre Viandes et substituts, le sujet a peu changé. Pour plus d’éclaircissements, voici leurs avis sur… plein de choses.

Le travail à trois
"À trois, on a décidé des histoires, des personnages et du scène à scène. On savait où on s’en allait de façon claire, raconte Trogi. On intervenait de façon individuelle dans les dialogues. On prenait chacun une voiture, et puis on faisait une lecture commune. Dans un dialogue, il y a peut-être 25 à 30 % qui a changé dans les mains des autres. Le premier souci, c’était le niveau de langage. Mais on est tous amis, on parle pareil. Et on ne perdait pas de temps; entre amis, il y a un étage de politesse qui décolle!"

Question de ton
"Les gens qui ont travaillé avec nous sont tous très bien, c’est bien joué, je suis fier de ça. (Des copains: Stéphane Breton, Isabelle Blais, François Létourneau, Pierre-François Legendre, Julie Breton, Benoît Gouin, Brigitte St-Aubin et Tony Conte.) Je ne voulais pas de composition, explique Trogi. À l’écran, ça ne passe pas tout le temps. Par exemple, je ne leur disais jamais d’arrêter la scène parce qu’un mot était mal sorti. Ce qui m’importe, c’est la manière dont les gens se parlent… On me dit que le film suit un peu la recette du Déclin de l’empire américain, parce qu’on y parle de cul et que c’est rien que du blabla. Mais Le Déclin, ce n’est pas le même niveau de langage. Pour moi, la première qualité d’un réalisateur, c’est d’être spectateur. Donc, le plus important, c’était de regarder les gens travailler dans le ton voulu. Il fallait que le ton soit respecté dans toutes les voitures."

Une fable sur la trentaine d’aujourd’hui?
"Je ne pense pas qu’on veuille illustrer la trentaine; on veut s’illustrer soi-même", avance Trogi aussitôt coupé par Robitaille: "On veut se faire dire comment on est par du monde qui vont voir le film!" "Ce que je vois, c’est une crainte face à l’engagement, mais c’est peut-être propre aux artistes, continue Trogi. Il y a des gens plus stables que nous avec maison, femme et enfants. Mettons que La vie la vie va plus faire la job…" Mais on parle de quoi au juste? Trogi: "On a décidé de parler de ce qu’on connaissait le mieux: les relations hommes-femmes. Comme on est les seuls au Québec à avoir eu l’idée, on s’est dit: Vite! on va le faire pendant que les gens ne le savent pas!" Et Les Charlots de se marrer.

Sérieusement
"Tu réalises un jour que tu finis toujours tout seul, même en couple, et il fallait que le film se termine comme ça, avance Trogi. Mais je pense qu’on tombe dans le panneau quand même. Je suis le premier à le croire. À la fin, la dame en rouge qui fait un clin d’oeil, et l’autre qui y croit encore: c’est important de finir sur cette face-là… Peu importe ce qui arrive, on n’apprend pas vraiment."

La drague
Trogi: "Je me suis fait éduquer avec l’idée que tu proposes quoi que ce soit à une fille que tu ne connais pas, et tu récoltes 90 % de risque d’humiliation. En partant de ça, tu restes dans ton coin. Je suis de la génération des watchers."

Robitaille: "Moi j’ai regardé une fille pendant tout le secondaire…"

Trogi: "Moi, j’ai une liste de 10 filles que je n’ai fait que regarder. À watcher comme ça, on reste en clan, on parle. On se crinque! Et c’est pour ça qu’on arrive à des films à dialogues et non d’action. Voilà! C’est l’explication logique!"

Le cinéma
Pas de cinéphilie galopante chez Trogi: "Le nom des réalisateurs, je m’en fous, je vais plus me souvenir d’un film. Il y a des musts, dans ma bibliothèque: Terry Gilliam, Kubrick, et Woody Allen que j’ai dévoré en un an quand j’ai pogné la vingtaine. Ma citation, c’est: le cinéma, plus tu le regardes, moins tu en fais. Ce n’est pas forcément de moi, mais elle vient du coeur."

Le cinéma québécois
Trogi: "Ce qui me dérange, c’est qu’il est un peu trop Plateau. Les scènes de gars qui jouent au golf, il n’y en a pas beaucoup au Québec."

Robitaille: "Ou c’est le trip ancestral des bassines et des capines. Crisse! Revenons-en!"

Trogi: "Ce qui m’intéresserait, ce serait de faire une science-fiction, mais pas Star Trek. Et puis la bataille des plaines d’Abraham."

Robitaille: "Il y a un historien qui a dit que les Anglais étaient arrivés sur le fleuve sur 80 kilomètres de bateaux. Ça flasherait si c’était un film américain. Ici, ce serait deux bassines et une capine."

Trogi: "Au début, pour Québec-Montréal, on voulait des shots d’hélicoptère pour montrer les autos…"

Robitaille: "… On a eu de la vidéo gonflée, et pas de la belle pellicule sans grain."

Trogi: "Enfin, pour notre film sur les plaines d’Abraham, on pensait faire un plan fixe sur deux gars qui regardent le fleuve… Mon Dieu! As-tu vu ça? Ça en fait de la galère!" Et re-rigolade.

La relève
Robitaille: "En ce moment, ça doit être le plus beau boutte, parce qu’on a tout à gagner et rien à perdre. Arcand, chaque fois qu’il fait un film, il est attendu. Nous, au pire, c’est flushé au bout d’une semaine et il y aura deux copies dans les vidéoclubs. On va continuer nos vies. À ce niveau-là, je pourrais être de la relève toute ma vie. Je serais bien correct."

Trogi: "Tout ce que je veux, c’est que pendant une heure et demie, t’écoutes, tu t’amuses, et puis après que ça crée une discussion dans le char, en revenant."

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ENCADRÉ
Moteur…
Certains films respirent le moment présent. Pas évident de savoir à quoi ça tient, mais le parfum qui s’en dégage flotte déjà dans l’air ambiant. Probablement parce que tout concorde et que les dialogues vont naturellement avec les gestes, les intonations et les préoccupations de notre espace-temps. Une grâce de débutant, comme celle du Péril jeune de Klapisch ou de La Moitié gauche du frigo de Falardeau. C’est ce qui arrive à Ricardo Trogi, et à son premier long. La 20, la route la plus ennuyeuse qui soit, il l’a transformée en chemin de vie le temps d’un film. Pas bête. Là-dessus, on mélange quelques couples et célibataires à différents moments de leur comportement amoureux; on les regarde évoluer dans leur auto; on scrute le mûrissement, voire le pourrissement… C’est à la fois intelligent et animal. Ça grince, ça rigole, c’est malhabile et pas forcément élégant. Mais, c’est vrai, on ne rit jamais très longtemps quand on regarde les singes dans la cage.

Il y a bien quelques évasions hors carrosserie avec de l’animation (fort bien réussie) et de la poésie magique avec ce couple Ken et Barbie en décapotable rouge, mais la plupart du temps, on reste en voiture, dans le réel. Québec-Montréal est un film de dialogues. Le rythme peut s’étirer sur l’asphalte, les blocs ont parfois du mal à former un tout, certaines histoires peuvent lasser et on peut se soucier de l’esthétisme comme de la peste: ça n’a pas vraiment d’importance. Tout se rétablit dans le ton, toujours juste. On est dans le char et on cause de soucis amoureux et amicaux, blancs et hétérosexuels. On se dit: avec tout ce que le Québec et le reste de la planète génèrent comme réflexion sur la chose, a-t-on vraiment besoin d’un avis de plus? Faut croire que tant qu’on ne trouve pas de réponse, on fouille. Ce nouveau regard est à la fois romantique, machiste, lucide et balourd. Un peu triste, mais encore idéaliste en bout de course. Mention pour les dialogues des trois gars en route vers Cuba, à Stéphane Breton et Isabelle Blais. Acteurs bien dirigés, quelques bonnes surprises, un peu de tendresse et un cynisme salvateur dans le paysage propret. Ce n’est pas si courant qu’on appelle un chat un chat. On embarque…