La Chambre des officiers : Guerre et dévouement
Un film fort et émouvant, rythmé par des acteurs justes; un grand film de facture classique comme on en fait moins, qui encense humanisme, dévouement et instinct de survie. Un oublié de Cannes 2001.
L’histoire est vraie, inspirée de la vie du grand-père de Marc Dugain, l’auteur du best-seller La Chambre des officiers. Après un coup de coeur pour le livre, le réalisateur François Dupeyron (C’est quoi la vie?) a relevé le défi: mettre en images le martyr de ceux qu’on a appelés "les gueules cassées" durant la Première Guerre mondiale, ces soldats transformés en Frankensteins, le visage arraché par des obus. Blessures horribles, réinsertions difficiles. Loin des champs de bataille, on relate ici le récit d’une guerre intime qui va se dérouler dans une chambre d’hôpital. La guerre éclate; Adrien (Éric Caravaca) ne semble pas chaud à l’idée, mais il y va quand même. C’est un tendre, mais un patriote. Il fait beau, et tout le monde le dit, cette guerre ne durera pas. Adrien a une aventure éclair avec une femme rencontrée juste avant le départ au front (Géraldine Pailhas). Mais à peine arrivé, il reçoit un obus allemand qui le défigure. Il restera au Val-de-Grâce durant toute la guerre, soigné par une infirmière dévouée (Sabine Azéma) et un chirurgien talentueux (André Dussollier), et aidé de l’amitié de ses compagnons aussi déformés: l’aristo catho (Denis Podalydès), le coureur de jupons (Grégori Dérangère), et Marguerite, partie au front parce qu’elle ne supportait plus la lâcheté de sa famille (Isabelle Renauld).
Monstres et merveilles
Voici donc un film qui pourrait être le croisement de La Vie et rien d’autre de Tavernier et de Johnny Got His Gun. Avec des bouffées d’angoisse à la Elephant Man. Dans la lignée des films de "monstres", Dupeyron aurait pu choisir la voie du choc, de la terreur, du sombre et de la dépression. Mais le film est orienté côté soleil. Tout y est lumineux. Tetsuo Nagata, directeur photo, a d’ailleurs reçu un César pour son travail. De par le choix monochromatique, chargé de lumière dorée, le pouvoir d’évocation du sépia, qui facilite le retour au début du XXe siècle, devient le moyen idéal pour entrer dans la fiction. On oublie presque qu’il s’agit d’un fait vécu: on va simplement nous raconter une belle histoire. La Chambre des officiers a d’ailleurs ce charme – classique, il est vrai, mais néanmoins véritable – des grandes envolées humaines bien ficelées, avec pudeur et émotion, qui nous entraînent par des destins privés vers des interrogations plus larges. Quelle que soit l’époque, tout le monde peut comprendre la débilité de la guerre, le don de soi, l’instinct de survie, l’horreur de la mutilation et l’apprentissage d’une vie après la douleur.
Moins classique cependant est le découpage de ce film rythmé sur Adrien, où l’on débute par une remise de médaille, suivie d’une intense scène d’amour, d’un cheval qui s’emballe, d’un officier qui sent la guerre approcher, d’un obus qui siffle et explose; puis où l’on s’attarde une heure et demie dans une chambre d’hôpital (dont plus d’une demi-heure sans voir le visage défiguré du héros). Enfin, on termine par quelque 20 minutes hors de cette chambre-cocon, peut-être les plus précipitées du film; à l’image d’Adrien qui doit rapidement faire face à la vie, au rejet et à l’amour des autres. Malgré les différences de volume, tous les blocs s’assemblent à merveille. On prend le film d’une seule traite, car il est plus ponctué par les plages de piano et par les silences (états d’âme et respiration du héros) que par n’importe quel changement de décor.
Et c’est encore à travers Adrien que l’on est touché par les discours sans paroles des yeux aimants d’Azéma, et ceux, si forts et humains, de ce médecin qui a donné à Dussollier le César du meilleur second rôle. Même dans les plus petits rôles, les acteurs sont justes. Et jamais les dialogues ne sont des bouche-trous, ni des liants pour les scènes. Ils sont les extensions vitales de sentiments poussés à la limite. On parle parce qu’il faut absolument "dire" qu’on aime, qu’on veut vivre, qu’on souffre, ou qu’on a peur de mourir. La guerre et autres tracas de ce genre déclenchent l’essentiel chez l’humain, et le film conserve cette tension jusqu’à la fin.
Une finale sacrifiée cependant: projeté à Cannes en 2001, mais non honoré, La Chambre des officiers s’est vu amputé de plusieurs minutes de la main même de son réalisateur, dont les très belles scènes de la fin. Le choix est discutable. Dans la version qui sort en salle, on reste sur la promesse d’un amour, alors que dans le montage initial, il y avait mariage et naissance. La boucle du bonheur était bouclée. Et Adrien se penchant sur son nouveau-né, c’était la concrétisation de son espoir, la clé de sa survie, l’apologie de toutes ces amours déclarées. Mélo peut-être, mais si beau. On surveillera le DVD…
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