Thirteen Conversations About One Thing : La vie devant soi
Qu’est-ce qu’on attend pour être heureux? Les soeurs Sprecher se penchent sur la question avec les armes logiques des philosophes. Essai réussi et non didactique qui donne la part belle aux acteurs.
Alors que Woody Allen nous convie à partager ses angoisses existentielles sur son divan psychanalytique, et que Claude Lelouch ou Éric Rohmer créent des complots, en multipliant les hasards et les coïncidences, les soeurs Jill et Karen Sprecher se tournent carrément vers la philosophie pour tenter de découvrir le sens de la vie. Le résultat est fort concluant puisque leur deuxième réalisation, Thirteen Conversations About One Thing, s’avère un habile enchevêtrement de récits intelligents et touchants à propos du bonheur, de la fatalité et de l’espoir.
Respectivement philosophe et travailleuse sociale de formation, Jill et Karen Sprecher se sont interrogées sur les répercussions des actions des autres dans nos vies tout en s’inspirant de l’oeuvre du philosophe britannique Bertrand Russell, The Conquest of Happiness. Entre autres questions sur notre pauvre état d’humain, cet ouvrage cherche à savoir si le monde moderne ne nuirait pas au bonheur. Plus profond que leur premier opus Clockwatchers, savoureuse comédie satirique sur la vie de bureau, le film des Sprecher possède en outre quelques soupçons de morale kantienne, traitant de ce que nous pouvons espérer de la vie et de notre responsabilité envers l’humanité.
Sujet en or, et non pesant quand les grandes questions sont allégées par la mise en scène et l’exemple humain. Au début des années 1990, peu de temps après s’être installée à New York, Jill Sprecher est victime de deux brutales agressions en moins d’un an. La seconde fois, alors qu’elle pleure en pestant contre le monde, elle est saisie par le sourire de compassion d’un passager du métro. C’est sur ce simple geste, qui l’a réconciliée avec le genre humain, que repose d’abord Thirteen Conversations About One Thing.
Divisé en 13 chapitres, tous chapeautés d’une citation de l’un des quatre principaux protagonistes, Thirteen Conversations… présente un professeur de sciences (John Turturro) qui remet sa vie et son mariage en question à la suite d’une violente agression; un jeune avocat talentueux (Matthew MacConaughey) rongé par le remords pour ne pas avoir secouru une passante qu’il a heurtée avec sa voiture; un expert en sinistres (Alan Arkin) qui ne peut supporter l’un de ses collègues, un éternel optimiste à qui le bonheur ne cesse de sourire; et enfin, une jeune femme de ménage (Clea DuVall) qui traverse la vie en croyant que son destin est tracé d’avance.
Les chemins s’entrecroisent au gré d’une chronologie bouleversée à la Pulp Fiction, permettant de mettre en relief les conséquences de chaque action. Avec un point de départ rappelant le brillant Magnolia de P.T. Anderson – rien n’est le fruit du hasard -, le récit central de Thirteen Conversations… se déroule sous le signe de l’entropie qui, comme l’explique le prof de sciences, fait en soi que tout est irréversible. Ainsi, bien que chaque personnage essaie de changer son propre destin ou celui d’un autre, les conséquences qui découlent de leurs actes échappent à leur contrôle et sont irréparables.
Bavard sans être soporifique, plus contemplatif que didactique, ce film n’a pas la prétention de répondre aux questions que chacun se pose; en fait, il y a plus de questions que de réponses qui fusent lors desdites conversations. À cet effet, Sprecher a créé une atmosphère propice à la confidence en privilégiant les plans-séquences d’intérieur, auxquels la photographie léchée de Dick Pope, un fidèle de Mike Leigh, et les éclairages feutrés confèrent une allure raffinée à cette production indépendante déjà saluée à Sundance. Alan Arkin domine brillamment la distribution, Matthew MacConaughey prouve qu’il n’est pas qu’une belle gueule, Clea DuVall fait montre d’une belle sensibilité alors que, étonnamment, John Turturro manque quelque peu de subtilité.
Malgré ses propos sombres, Thirteen Conversations About One Thing est le genre de film qui finit par donner foi en l’humain et possède cet optimiste qui réconforte d’un seul coup, en une bouffée… comme le sourire d’un inconnu.
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