Claude Jutra, portrait sur film : Homme de son temps
Cinéma

Claude Jutra, portrait sur film : Homme de son temps

Le 5 novembre 1986, un homme de 56 ans souffrant de la maladie d’Alzheimer se jette dans le fleuve du pont Jacques-Cartier; lorsque son corps est repêché, quelques mois plus tard, on retrouve sur lui un papier où est écrit "Claude Jutra". Peu avant de poser ce geste radical, il avait joué le rôle d’un médecin dans Sonia, un film de commande sur la maladie d’Alzheimer d’une voisine et amie, Paule Baillargeon. Dans une scène, Jutra, n’ayant pu mémoriser son texte, lit péniblement un triste diagnostic qui est aussi le sien. Sans doute l’un des moments les plus bouleversants de Claude Jutra, portrait sur film, documentaire sensible et respectueux.

Le 5 novembre 1986, un homme de 56 ans souffrant de la maladie d’Alzheimer se jette dans le fleuve du pont Jacques-Cartier; lorsque son corps est repêché, quelques mois plus tard, on retrouve sur lui un papier où est écrit "Claude Jutra". Peu avant de poser ce geste radical, il avait joué le rôle d’un médecin dans Sonia, un film de commande sur la maladie d’Alzheimer d’une voisine et amie, Paule Baillargeon. Dans une scène, Jutra, n’ayant pu mémoriser son texte, lit péniblement un triste diagnostic qui est aussi le sien. Sans doute l’un des moments les plus bouleversants de Claude Jutra, portrait sur film, documentaire sensible et respectueux scénarisé par Jefferson Lewis et réalisé par Paule Baillargeon qui démystifie les multiples facettes de la personnalité complexe du grand réalisateur québécois. Illustrant les derniers instants de sa vie, des saynètes tournées en ombres chinoises traduisent le désarroi et la solitude où était plongé Jutra. Mais sa vie ne fut pas que ponctuée de malheurs. Grâce aux témoignages vivants et chaleureux recueillis auprès d’amis du cinéaste (Saul Rubinek, Bernardo Bertolucci, Geneviève Bujold, Marc Béland, Normand Brathwaite, etc.), la réalisatrice rend compte de la joie de vivre qui animait cet homme émerveillé comme un enfant devant la vie.

Né dans une famille aisée et cultivée, Claude Jutra tourne son premier film à l’âge de 18 ans, Le Dément du lac Jean-Jeunes (1948), où apparaissent déjà ses thèmes de prédilection: la folie, les enfants et l’eau. Bon nombre de documents d’archives et d’extraits de films choisis avec discernement démontrent l’importance de l’eau tant dans l’oeuvre que dans la vie de Jutra. Les années 50 sont marquées par ses rencontres avec de grands cinéastes, dont Fellini, qu’il interviewe à New York avec son grand complice Michel Brault, qui relate cet événement avec humour.

En plus d’une démarche intimiste – Paule Baillargeon aborde, par le biais de leur correspondance, la relation difficile entre l’homme et sa mère trop aimante, qui souhaitait tant qu’il devienne médecin -, la réalisatrice trace aussi le portrait d’une identité québécoise en émergence, d’une époque effervescente, les années 60 et 70, alors que le cinéma d’ici pénétrait dans la modernité. Jutra est aux premières loges de cette époque: dans À tout prendre (1963), son oeuvre la plus autobiographique, où il exploite des sujets jusque-là tabous, tels l’amour interracial et l’homosexualité; WOW (1969), qui donne la parole à la jeunesse; et en 1971, quand il dénonce la domination anglophone avec Mon oncle Antoine. Mais à cause de ses coups de gueule contre l’industrie du cinéma et le manque de subventions, le réalisateur du superbe Kamouraska (1973) s’exile volontairement au Canada anglais. À son retour, il tourne son dernier film, La Dame en couleurs (1984), dans lequel joue Paule Baillargeon. Puis Claude Jutra découvre les premiers signes de la maladie de l’oubli. Marquant l’heureux retour de Paule Baillargeon derrière la caméra, Claude Jutra, portrait sur film est un bel et vibrant hommage à ce cinéaste parti trop tôt.

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