Un spécialiste, portrait d’un criminel moderne : Les ordres
Dans le box des accusés, flanqué de deux gardiens, est assis un homme qui a l’air bien banal avec sa gueule de fonctionnaire. Grand et sec, il se lève mécaniquement pour répondre aux avocats. D’un ton saccadé, il expose froidement avec force détails techniques la nature de ses fonctions.
Dans le box des accusés, flanqué de deux gardiens, est assis un homme qui a l’air bien banal avec sa gueule de fonctionnaire. Grand et sec, il se lève mécaniquement pour répondre aux avocats. D’un ton saccadé, il expose froidement avec force détails techniques la nature de ses fonctions. À la fin du procès, il affirme être coupable des crimes dont on l’accuse mais n’en ressent pas le moindre remords, car, selon lui, celui-ci n’est bon que pour les enfants. En fait, son seul crime est d’avoir obéi aux ordres de ses supérieurs par idéalisme. Cependant, il souhaite que son témoignage soit consigné dans un livre et serve d’exemple pour les générations à venir afin que l’histoire ne se répète plus.
Cet homme, c’est Adolf Eichmann, l’un des pires criminels du XXe siècle. Par sa faute, six millions de juifs ont été déportés par train vers les camps d’extermination. Une tâche dont l’Oberstürmfürher SS Eichmann s’est chargé avec un zèle et une efficacité redoutables. Enlevé par les services secrets israéliens en 1960 en Argentine, où il s’était réfugié en 1945, Eichmann a dû faire face à la justice de l’État hébreu à Jérusalem. À la suite de son procès, il a été pendu en 1962. Ce soi-disant spécialiste était l’un des hommes les plus puissants du IIIe Reich à être jugé après les 24 nazis du procès de Nuremberg (1945-46). Le lieutenant-colonel Eichmann avait notamment assisté à la Conférence de Wannsee où a été décidée la "Solution finale".
D’une durée de 350 heures, le procès de Eichmann a été filmé intégralement par Leo Hurwitz. À l’époque, seules quelques images avaient été présentées au public, comme celle d’un témoin s’évanouissant à la fin de son témoignage. Inspiré du livre Eichmann à Jérusalem, rapport sur la banalité du mal de Hannah Arendt, Un spécialiste, portrait d’un criminel moderne, de Rony Brauman et Eyal Sivan, est un montage d’extraits du célèbre procès Eichmann de plus de deux heures durant lesquelles l’homme justifie sans sourciller son travail de spécialiste.
Le parti pris des réalisateurs était d’illustrer sans jugement les rouages de la machine à tuer nazie. À l’exception de brefs récits d’horreur des victimes et des témoins appelés à la barre ainsi que des extraits d’archives projetés durant le procès et que l’on distingue à peine, seuls les propos de Eichmann sont présentés sans explication ni analyse. Brauman et Sivan ont pourtant cru bon d’ajouter quelques effets spéciaux, tels ces images reflétées dans la glace du box des accusés et ces effets sonores distordus. Malheureusement, ces procédés n’apportent rien qui vaille si ce n’est qu’un peu de diversité dans l’aridité de l’ensemble.
Le documentaire s’avère percutant et troublant par l’essence même du personnage central qui n’a rien d’un psychopathe avec sa tête de monsieur Tout-le-monde. Bien que l’idéologie nazie soit révélée sans fard, la nature de l’homme demeure toujours un mystère. Sélection officielle au Festival de Berlin en 1999, Un spécialiste… ne sera à l’affiche que durant trois semaines à Montréal. Un rendez-vous éprouvant avec l’Histoire.
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