Festival Image + Nation : Grand angle
Cinéma

Festival Image + Nation : Grand angle

Quinzième édition du Festival international de cinéma et de vidéo gai et lesbien de Montréal, Image + Nation, seul événement majeur du genre avec celui de New York de ce côté-ci de l’Amérique: retour en arrière et regard en avant.

Charlie Boudreau et Katharine Setzer, directrices du Festival, offrent cette année une programmation composée de plus de 200 films provenant de 25 pays, dont la Slovénie, l’Iran et la Chine. Un 15e anniversaire qui permettra de constater l’évolution du cinéma queer, ainsi que celle des personnages homosexuels et transsexuels du cinéma hollywoodien. Pour cela, Image + Nation présente des longs métrages d’hier, parmi lesquels Reflections in a Golden Eye, de John Huston avec Brando et Taylor; Dog Day Afternoon, de Sidney Lumet et Cruising, de William Friedkin qui mettent en vedette Al Pacino; The Crying Game, de Neil Jordan; ainsi que l’incroyable histoire de M. Butterfly, film de David Cronenberg. Les cinéphiles auront aussi l’occasion de revoir cinq oeuvres marquantes du génial Fassbinder, auquel on consacre une rétrospective. À noter la présentation d’un documentaire qui donne la parole aux femmes ayant collaboré avec lui au cours de sa carrière (entre autres Hanna Schygulla et Jeanne Moreau), Fassbinder Was the Only One for Me: The Willing Victims of Rainer Werner F. , un film signé Rosa Von Prauheim.

On amorce les festivités justement par un clin d’oeil au passé: Claire, de Milford Thomas. Ce film qui arrive d’Atlanta et qui a eu de bons échos à San Francisco est une drôle de gageure à l’heure de l’effet hautement numérique. Voici un film 35 mm, noir et blanc, muet, tourné avec une caméra d’époque et accompagné par un orchestre de chambre de 11 musiciens. Un exercice de style très romantique inspiré d’un conte de fées japonais, Kaguyahime, qui raconte l’histoire d’un couple (ici, deux fermiers barbus vivant dans le sud américain) qui trouve une petite fille dans un épi de maïs. Ils décident de l’élever comme la leur. Petite fille magique deviendra grande… On note des superbes images, très expressionnistes, d’où se dégagent une jolie tendresse et des effets spéciaux comme on n’en fait plus, ingénieux et charmants, comme les larmes lactées de la jeune Claire et les séquences oniriques, qui rappellent la magie du Songe d’une nuit d’été, mis en scène par Max Reinhardt.

Figurant parmi les 27 films en compétition officielle, Days (Giorni, film présenté lors du dernier FFM), premier long métrage de Laura Muscardin, relate la rencontre de Claudio, un séduisant banquier de 35 ans séropositif, et Andréa, un beau garçon de table qui refuse d’avoir des relations sexuelles protégées avec lui. Ayant vécu depuis 10 ans une vie rangée à cause de sa maladie, l’homme se laissera entraîné par son jeune amant dans une dévorante passion amoureuse. Malgré son sujet tragique, la réalisatrice italienne ne joue jamais la carte du mélo et offre de belles scènes d’amour sensuelles qu’elle filme avec sobriété. Un hymne romantique à la vie et à l’amour.

Dans un registre semblable, Lan Yu, de Stanley Kwan, retrace sur une décennie l’histoire d’un couple formé d’un riche homme d’affaires et d’un pauvre campagnard, étudiant en architecture. Érotisme torride, jeux de pouvoir, séparations déchirantes et retrouvailles émouvantes ponctueront tour à tour leurs amours tourmentées. Un drame sentimental sombre et intimiste qui témoigne subtilement des changements politiques de la Chine.

Dans un bled perdu de l’Ohio, Gypsy, une émule de Stevie Nicks qui rêve de gloire et d’amour, et son styliste Clive, un puceau gai au look de Robert Smith, assument tant bien que mal leur marginalité. En apprenant qu’il y aura un concours de sosies de la "marraine des goths" à New York, les deux camarades y voient là l’occasion de réaliser leurs rêves. En chemin, ils croiseront des personnages colorés, tels une reine du karaoké (incarnée par la "has been" Karen Black) et un Amish en fuite, qui les confronteront à leurs propres idéaux. Malgré un personnage central peu sympathique, un scénario convenu et une réalisation très ordinaire, Gypsy 83, de Todd Stephens, s’avère un road movie doux-amer, sans prétention et non dénué de charme. En prime, la musique de Siouxsie and the Banshees et The Cure a de quoi ravir les nostalgiques des années 80.

Quelques autres films également en compétition: All the Queen’s Men, de Stefan Ruzowitzky, avec Eddie Izzard et Matt Leblanc; By Hook or By Crook, de Silas Howard et Harry Dodge; Daughters of the Sun, de l’Iranienne Miriam Shahriar, dont le sujet rappelle celui de Baran, de Majid Majidi; Benzina, de l’Italienne Monica Stambrini; de l’Espagne, Segunda Piela, de Gerardo Vera, avec l’excellent Javier Bardem; et du Canada, le très sombre Leaving Metropolis, du dramaturge Brad Fraser (en compétition au FFM); Girl King, d’Ileana Pietrobruno, et un des meilleurs films au FFM cette année, le troublant The Nature of Nicholas, du Canadien de l’Ouest Jeffrey Erbach.

À surveiller du côté des courts métrages, le sous-programme 15 du programme Talents d’ici qui présente les réalisations d’artistes de Montréal à qui on a demandé de créer une oeuvre ayant pour thème le chiffre 15. Aussi un après-midi de programmation jeunesse intitulé Voix de l’avenir, entrée libre pour les 25 ans et moins.

Dans le cadre de la populaire série 5 à 7, des documentaires abordent plusieurs thématiques identitaires. Mentionnons le troublant Ke Kulana He Mahu: Remembering a Sense of Place, de Kathryn Xian et Brent Anbe, qui traite du colonialisme sauvage dont a été victime le peuple hawaiien, et particulièrement les "mahu" (hermaphrodites, travestis ou homosexuels) qui vivaient en harmonie avec les autres avant l’arrivée des colons homophobes. Instructif et surprenant, ce documentaire porte sur les efforts des mahu qui consacrent leur vie à transmettre leur héritage culturel aux habitants de Honolulu. Récipiendaire de l’Ours du meilleur documentaire, All About My Father, d’Even Benestad (Norvège-Danemark), trace le portrait d’un médecin travesti. En première mondiale, Out of the Shadow and Into the Sun, de Kathryn Klassen, porte sur les femmes toréadors. Pour rigoler un peu mais sans se moquer, American Mullet, de Jennifer Arnold, présente les témoignages de gens arborant fièrement ce qu’on appelle ici la coupe Longueuil.

Queers au petit écran présente les séries Bob and Rose du créateur de la série Queer as Folk, Russell T. Davies, sur les amours entre un homme gai et une femme hétéro; et de Pierre Gang, la suite de Tales of the City, Further Tales of the City, adaptation du roman d’Armistead Maupin mettant en vedette Olympia Dukakis et Laura Linney.

Ce festival ne serait pas complet sans quelques présentations spéciales telle la soirée Grease Sing Along! animée par Sheena Hershey, où tous sont conviés à entonner les chansons de cette comédie musicale culte; ainsi que quelques conférences, dont Lesbian Porn 101, de Laura Weide, qui retrace l’évolution de la porno lesbienne, et Cherchez la femme: L’histoire des artistes travestis et transsexuels à Montréal, 1955-1985, présentée avec diapositives par Viviane Namaste.

Pour couronner le tout, le film de clôture Que faisaient les femmes pendant que l’homme marchait sur la lune?, comédie cocasse du scénariste de Ma vie en rose, Chris Vander Stappen, notamment avec Macha Grenon; un film qui a fait quelques festivals et qui est sorti gagnant du Festival de Namur. Bon festival.

Du 19 au 29 septembre

www.image-nation.org.