Dog Days : Banlieue blues
Cinéma

Dog Days : Banlieue blues

Ça pourrait se passer à Brossard, à New Jersey City ou dans n’importe quelle banlieue où les centres d’achats, les fast-food à répétition, et le ronron des tondeuses à gazon forment l’essentiel du paysage. Ça se passe dans une banlieue de Vienne, en pleine canicule.

Ça pourrait se passer à Brossard, à New Jersey City ou dans n’importe quelle banlieue où les centres d’achats, les fast-food à répétition, et le ronron des tondeuses à gazon forment l’essentiel du paysage. Ça se passe dans une banlieue de Vienne, en pleine canicule. Il aura fallu plus de trois ans pour mener à terme Dog Days, premier long métrage de fiction d’Ulrich Seidl, documentariste-choc qui nous convie à un conte de la folie ordinaire, descente aux enfers dans la normalité, à côté duquel Happiness a l’air bucolique.

Composé de vignettes aussi disjonctées que la vie de ceux et celles qu’il décrit, Dog Days suit quelques humains, qui se débattent comme des mouches. On y voit une femme se coupant les poils pubiens, au milieu de l’après-midi, avec un petit ciseau; un veuf qui passe la tondeuse pour ne pas entendre les chicanes de couple de ses voisins. On découvre une divorcée qui vit encore avec son ex-mari, dans un silence assourdissant, et qui participe à des orgies dans les sous-sols d’un centre d’achat, avant d’aller déposer des fleurs sur la tombe de sa fillette, morte au bord d’une autoroute. On suit une fille obsédée par les statistiques et la pub, qui fait du pouce, et parle sans arrêt aux conducteurs qui l’embarquent; un petit macho de merde qui fout des baffes à sa blonde dans un parking désert; une femme qui se fait tabasser par son amant, avant de lui rendre la pareille. Les protagonistes de Dog Days sont presque tous des monstres ordinaires, incarnés, pour la plupart, par des acteurs non-professionnels, tous époustouflants.

Le constat est cinglant, et la mise en scène, d’une rigueur qui évoque celle de Kubrick. Ils sont rares, ceux qui, aujourd’hui, posent un tel regard sur leurs congénères. Il faut remonter à Fassbinder et à Pasolini pour retrouver une telle vision de la société, où le privé est indissociable du politique. Jamais sentimental, Seidl ne fait pas non plus dans le social. Ses personnages ne sont pas emblématiques: ils ne font que témoigner d’une humanité sans repères, victimes de la violence et de l’étrangeté d’un quotidien qui, sous le vernis des conventions, a des allures de cauchemar.

Aucune résolution ne vient clore le débat, aucune morale ne vient achever le tableau. À l’instar de son compatriote, Michael Haneke, réalisateur de La Pianiste, Ulrich Seidl est un moraliste qui n’est pas moralisateur. Il y a du mystique dans ce film sans merci. Au milieu de cette cruauté distanciée, perce un humanisme têtu; dans ce film où la violence est constante, dans les mots, dans les gestes, dans les silences, on trouve des instants de tendresse fulgurants, et même un humour noir qui ressemble à une bouée de sauvetage.

Un spectateur averti en vaut deux: Dog Days n’est pas à mettre entre toutes les mains. Ceux et celles qui s’y risqueront trouveront un film profondément dérangeant, l’oeuvre d’un cinéaste majeur.

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