Histoire de pen / Michel Jetté : Film de gars
Voilà un cinéma franc du collier. Pas un cinéma à plusieurs couches d’oignon et 36 niveaux d’interprétation. Le film a été conçu à partir de quelques idées précises et n’en déroge point. Dans Hochelaga se démarquait déjà cette franchise de ton. Avec Histoire de pen, ça se confirme, le film est carré et sans entourloupette. What you see is what you get.
Voilà un cinéma franc du collier. Pas un cinéma à plusieurs couches d’oignon et 36 niveaux d’interprétation. Le film a été conçu à partir de quelques idées précises et n’en déroge point. Dans Hochelaga se démarquait déjà cette franchise de ton. Avec Histoire de pen, ça se confirme, le film est carré et sans entourloupette. What you see is what you get.
Cette sincérité vient des histoires de Léo Lévesque, taulard notoire, auteur de pièces de théâtre depuis la fin des années 70, et de Michel Jetté, réalisateur, déjà sensible à cet univers. Histoire de pen est un condensé de plusieurs récits de Lévesque, regroupés dans le dernier recueil de l’auteur, Contes en coup de poing. Entre les deux, symbiose immédiate, et Jetté parle de "malin plaisir à écrire le scénario à deux", dans la salle des visites de l’établissement Leclerc.
Réalité et fiction
Malgré le caractère du sujet, le résultat n’est pas une photocopie de la réalité carcérale; deux artistes ont transformé leurs appréhensions en vision. Et Histoire de pen se regarde comme un tableau surréaliste, badigeonné à la testostérone. "On s’est rapidement rendu compte avec Léo que le récit aurait plus de force si on le faisait basculer dans le conte", explique Jetté, toujours aussi calme et massif, à l’image des personnages qu’il aime mettre en scène. Dans cette fable, il y a le héros candide, Claude (Emmanuel Auger), qui entre dans un pénitencier à sécurité maximale à l’âge de 19 ans et qui, de coups en rencontres, va se transformer au contact de son nouveau milieu. Perte de l’innocence sur grille de tragédie antique, on reconnaît toute la panoplie de personnages: la belle fille (Karyne Lemieux); Tarzan (Sylvain Beauchamp), le Minotaure, une brute inhumaine; Jacques, à la fois clown et oracle (David Boutin); L’Fantôme (Paul Dion), un vieux sage; Lucia (Dominic Darceuil), mi-Pandore, mi-Marilyn Manson; et autres écorchés en second plan, aux doux noms de Piston (Deano Clavet) et Zizi Grenier (Jean-Sébastien Poirier). Le plus impressionnant reste "La Voix du trou", voix de baryton de Jean-Robert Boudage, dont on ne voit jamais le visage, "et qui a existé, raconte Jetté. Il s’appelait La Crête. D’après Léo, il rendait les gars fous, c’était un prisonnier violent qui tuait les autres détenus et on entendait sa voix depuis le trou. On en a fait une représentation du pen".
"Léo Lévesque est entré en prison à 18 ans, il a vu toutes les vagues de criminels, et pour lui, on peut très bien prendre le pouls de la société à l’intérieur des murs", ajoute-t-il. Dans le film, les amitiés, la violence, les vengeances, le trafic, la logique propre au système carcéral ont été avalés dans un tout: la terreur comme fonctionnement social. "Je voulais explorer la prison de l’intérieur, saisir le phénomène de peur, et parler de l’équilibre des pouvoirs dans cet univers totalitaire", résume Jetté. Entre les combats – la prise de pouvoir de Claude – et les souvenirs, tout est alors déformé. Dedans, c’est bleu et blafard, organique; "viscéral", comme le répète Jetté. Et dehors, c’est fade, mais aussi idéalisé. "Ce qui nous semble banal comme une balade en voiture avec sa blonde, ça devient incroyable pour un prisonnier. Et je voulais montrer l’immensité des paysages", explique le réalisateur. Entre des plans de tuyaux-intestins et de paysages étranges, on se promène dans les temps de narration, évitant la claustrophobie. Point fort: Michel Jetté a très bien dirigé ses acteurs, tous sur le qui-vive, à différents niveaux de retenue.
Montage rapide, avec images hachurées, ralentis et accélérés, effets spéciaux, mouvements de grue, stabilité du trépied et 3,5 millions $ de budget: Michel Jetté a bien profité du succès d’Hochelaga (caméra épaule et 1 million $). Pas de mise en scène surprenante pourtant, on reste dans le régulier, avec nuages en accéléré indiquant le temps qui passe et lune voilée pour montrer que l’ambiance risque de tourner au vilain. Le pénitencier prend des allures de cathédrale tordue ("La cathédrale des maudits", comme le crache David Boutin, en pleine forme), et symbolise bien la réunion des neuf cercles de l’enfer dantesque. La tension entre les gars monte en crescendo et culmine dans une scène violente mais surtout dérangeante, ramenant à la surface les terreurs les plus irrationnelles. Les gardiens de prison sont des fantômes peureux et les bâtiments ne respirent que par la hargne des hommes enfermés. Comme il s’agit à la fois d’un lieu et d’un milieu fascinants, hautement cinématographiques, on peut se laisser facilement aller aux images symboliques, à la poésie des tatouages. Histoire de pen n’en est pas avare.
Et puis, il y a le côté très mec. Poésie virile qui ne fait pas dans la dentelle et qui met de l’avant la grande amitié loyale et la dignité, à la Dan Bigras; c’est la poignée de main à la Erik le Rouge et les mâchoires serrées. Une grosse bouffée de testostérone d’un coup…
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