FCMM : L'appel du loup
Cinéma

FCMM : L’appel du loup

Le FCMM peut l’avoir, le sourire carnassier: avec sa programmation 2002, il se taille la part du chef à la table des festivals montréalais. Pas uniquement grâce à des nouveautés qui défrichent, mais avec de gros morceaux de viande, catégorie  A.

Souffle sur le FCMM un esprit non conventionnel qui est devenu sa marque de commerce. On sait qu’on y retrouvera, durant 10 jours, des oeuvres qui ne sont pas les plus abordables au monde, ni les plus évidentes. Année après année, le festival sur la Main nous répète que l’art au cinéma ne va pas forcément de soi, qu’il faut se creuser les méninges, qu’il faut le voir évoluer. Et le message nouveau cinéma passe. Reste que le FCMM a maintenant 31 ans – la louve (son emblème) grandit encore et fait des petits -, et il sait qu’il est devenu le plus incontournable des festivals de cinéma dans cette ville. Le FCMM n’est pas simplement la "branchitude" qu’on lui met sur le dos. Il prend du poids. Et le style "plus-c’est-obscur-mieux-c’est" n’irait pas à toutes les productions. Plus que jamais, le FCMM livre donc la marchandise et pose ses pattes de loup de plus en plus massivement. De l’expérimental au conventionnel, à vous de choisir dans le carnet de bal…

Les évidents
Parce qu’ils font partie des films importants de 2002. Mais on en a déjà tellement parlé qu’on fera ça court. L’Homme sans passé, d’Aki Kaurismaki, en film d’ouverture: ceux qui ne connaissent pas le réalisateur finlandais peuvent commencer tout de suite. Ceux qui aiment déjà y verront une suite dans l’oeuvre du clown blanc génial qui a déjà donné Au loin s’en vont le nuages et la trilogie Shadows in Paradise, Ariel, et La Fille aux allumettes. Bowling for Colombine, de Michael Moore: la forte tête gauchiste des États-Unis sert une raclée de première à son peuple, trop peureux et trop armé selon lui. Le Pianiste, de Roman Polanski: la Palme d’or 2002, un film sensible et classique, où l’on retrouve (un peu) de la finesse du réalisateur endormi. Ararat, d’Atom Egoyan: parce qu’il faut voir tous ses films, même celui-ci, qui n’est pas le plus brillant. Parle avec elle, de Pedro Almodovar: parce qu’on se rue sur tous ses films, pour pleurer à chaudes larmes et pour chanter Cucurrucucú Paloma. L’Homme du train, de Patrice Leconte, avec Rochefort et Johnny: parce qu’un Leconte sur trois est très bon. Et il semblerait qu’on soit dans les temps. Et puis, 11’09’01-11 septembre, où 11 réalisateurs majeurs expriment leur vision de la catastrophe: aussi une question de timing. C’est maintenant ou jamais.

Les précieux
Les films privés. Ceux qu’on garde pour soi, et qui accompagnent souvent plus loin que la projection… Le Fils, des Dardenne, pour l’intelligence du regard des frérots belges encore plus sensible, si cela est possible, après La Promesse et Rosetta, et pour la prestation d’Olivier Gourmet. Intervention divine, d’Elia Suleiman: parce que décousu et bizarre, ce film reste tel quel dans la mémoire, comme un fou rire en pleine guerre. En attendant le bonheur, d’Abderrahmane Sissako: pour la ville sans repère de Mauritanie, pour des plans rêveurs et évocateurs; pour le voyage. Carnages, de Delphine Gleize: parce que faire un film à tiroirs entremêlés est loin d’être évident et que pour un premier long, c’est du tonic comme on aime, qui a quelque chose de Jamón Jamón et des premiers Almodovar. Japón, de Carlos Reygadas: aussi un premier long métrage, si travaillé, si pensé, si astiqué qu’il en devient maniéré, mais un film magnétique où l’on revient sans cesse, attiré par cette quête entre la vie et la mort, au bord d’un canyon mexicain. La Tropical, de David Turnley: un film sans paroles et sans couleurs qui vibre de monde, de musique et de sueurs; il fallait le faire. Un documentaire très émouvant sur la danse, la Havane et les Cubains. Ten, d’Abbas Kiarostami: pour le plaisir du style, mais pas seulement. Surtout pour les 15 premières minutes dans une auto entre un fils et sa mère, pour la démarche toujours précise et pointue du réalisateur iranien. L’Arche russe, d’Alexandre Sokourov: parce que celui-ci ne peut rien faire comme les autres (Moloch, Taurus); alors, pourquoi ne pas parler d’âme russe et d’Histoire chaotique en un plan-séquence? Fascinant. Far From Heaven, de Todd Hayes: parce qu’il en faut du talent pour prendre le style et les codes d’une époque (les années 50 en technicolor à la Douglas Sirk) et faire résonner un sujet comme le refoulement avec autant de modernité. La Devinière, de Benoît Dervaux: un documentaire belge qui prend aux tripes, sur une maison pour handicapés mentaux, et qui nous renvoie une image déformée de nous-même. Pour une autre interrogation sur l’image, celle de Seeing is Believing, où Peter Wintonick (qui suit sa trajectoire de Cinéma Vérité: Defining the Moment) et Katerina Cisek qui se penchent sur le pouvoir d’une caméra DV dans les mains de ceux qui veulent savoir.

Bon plan assuré: les courts et moyens métrages semblent cette année assez éclatés et travaillés. Presque à choisir les yeux fermés. On en a vu quelques-uns, on y reviendra en détail la semaine prochaine.

Les attendus
Ceux qu’on n’a pas encore vus et qu’on attend. Comme Dolls, de Takeshi Kitano. Le Japonais polyvalent qui fascine depuis Violent Cop s’attaque ici à une histoire d’amour, pure et romantique, entre cinéma et théâtre. The Cuckoo, d’Alexandre Rogoshkin, qui débarque de Toronto avec le vent dans les voiles, et de Moscou avec un prix, ressemble au No Man’s Land de l’année dernière; un film enthousiaste contre la guerre et pour la tolérance. Dans Exxxorcisms, de Jaime Humberto Hermosillo, le réalisateur mexicain, qui sait (avec originalité) comment déranger les préjugés d’ordre sexuel, offre à nouveau ses obsessions dans une histoire d’amour minimaliste.

Il a gagné le Lion d’or à Venise cette année, et il faut bien savoir pourquoi: The Magdalene Sisters, de l’Écossais Peter Mullan, nous plonge dans le sordide d’un couvent catholique irlandais sensé "redresser" les jeunes filles du mauvais chemin. Rebelles, avec raison. Le Neg’, de Robert Morin: parce qu’en parlant de rébellion, il est loin d’être le dernier, voire unique en son pays… Ken Park, de Larry Clark, où le gars qui fait peur chaque fois qu’il prend une caméra. Après Kids, il retravaille avec Harmony Korine au scénario pour parler de sexualité banalisée par l’ennui de la jeunesse américaine d’aujourd’hui. Ça promet. Il fallait que ce soit lui, il fallait que ce soit cette histoire-là: le maître des vampires vu par le génial Guy Maddin, dans Dracula, Pages from a Virgin’s Diary. Très hâte.

Il y a donc une suite, probablement intelligente, Des glaneurs et la glaneuse, où Agnès Varda analyse le succès de son film, tout en s’attardant sur de nouveaux portraits de récupérateurs. On veut aussi Être et avoir, de Nicolas Philibert, révélation cannoise 2002, et tous les films de ce documentariste. Par chance, le FCMM lui rend hommage.

Et par curiosité, on en prendra encore une pelletée. On prendrait le Chantal Akerman (De l’autre côté), pour se faire une idée sur une autre façon d’envisager El Norte; on choisirait le nomadisme et le titre de Raymond Depardon (Un homme sans l’Occident) et l’esprit frondeur de Pierre Carles dans Enfin pris?, qui, après Pas vu, pas pris, s’interroge encore sur l’autocritique et la télévision; et on regarderait le travail sur l’acteur et sur son corps d’Alain Cavalier (René). Il ne faudrait pas oublier Why are you creative?, de Hermann Vaske, parce que les réponses risquent d’être aussi fleuries que la question est simple; et parce qu’on a toujours besoin d’Espagne: Fuente Alamo, la caresse du temps, de Pablo Garcia.

La suite, la semaine prochaine…

FCMM
Du 10 au 20 octobre
Info festival: 847-1242
www.fcmm.com