FCMM : Bazar en tout genre
Des courts et des bizarres, des célèbres et des moins connus, des faciles et des obscurs: tir groupé d’images de la première semaine du FCMM, 31e édition.
Microcosmos
. Il n’y a que la curiosité pour réunir un fouillis d’images, passives, interactives, longues et courtes, séduisantes et agressives, d’un Festival. Et la disponibilité. Pas celle des artistes, la nôtre: être neuf face à chaque univers. Cela peut sembler une évidence, mais ce n’en est pas; usés par des réflexes d’appréhension du cinéma et habitués aux codes que nous sommes. Le meilleur moyen de connaître ses degrés de perméabilité, c’est de regarder des cours métrages. Avec les courts, on a moins le temps de tergiverser. Voici un monde, il est à prendre. "Je n’aime pas forcément parler de durée, mais j’aime les films où les univers se déploient et s’installent, explique Philippe Gendreau, programmateur des courts métrages pour une troisième année consécutive au Festival. Le court métrage, c’est du cinéma, toujours de l’art visuel. Il y a simplement des choses qui prennent soit 3 ou 30 minutes pour se développer." Cette année, il a dégraissé sa sélection, resserrant ses préférences sur environ 50 oeuvres (par rapport à 90 l’année dernière), qu’il a séparées en 11 programmes. Forte présence québécoise, très bonne qualité générale et sombres sujets: la programmation offre de vrais coups de coeur. "Je sens vraiment une progression cette année, il y a une qualité, une liberté cinématographique", dit-il.
Comme cette merveille qu’est Le Grand Tango, de Pieter Jan Smit: un seul gros plan sur le visage d’un violoncelliste pris dans la musique de Piazzolla, mais une multitude d’histoires qui passent sur cette tête transformée en un paysage par l’interprétation musicale. Une carte du monde des sentiments avec plusieurs niveaux de lecture. Fascinant. Autre travail de forme remarquable que Le Souvenir d’un avenir, de Yannick Bellon et Chris Marker. Par des photos de 1935 à 1955, celles de Denise Bellon, et avec la voix de Pierre Arditi qui interprète un habile commentaire, les deux réalisateurs donnent à relire des photographies, repositionnées dans le temps, interprétées, et soudainement à l’avant-garde d’une époque. Incisif, concis, caustique parfois: du grand art. Carrément dérangeant par contre que ce Love is a Treasure, de la Finlandaise Eija-Liisa Ahtila. En cinq épisodes, la réalisatrice raconte cinq psychoses féminines. On est à la fois dans la tête des femmes et dans la nôtre. Ça commence comme un direct glacial, ça tient sur la corde raide tout le long et ça se termine avec un peu de chaleur, en apaisement. Du cinéma clinique à la poésie visuelle (et sonore) marquante. La schizophrénie, cette fois, se décompose en plusieurs formes, c’est bien connu: les images réelles, le numérique, le dessin, autant d’avenues dans Camouflage, du Britannique Jonathan Hodgson. Mais excellente concision narrative. En forme d’essai et en quatre blocs, Quatre Tableaux sur la nudité, de Stéphanie Béliveau et Denis Bergeron, est plus touchant. On se promène dans le nu en liberté, puis en état de contrainte, de désir et d’enfance. Rythme et précision, le film s’arrête, et on a l’impression satisfaisante que l’oeuvre est complète. Univers bien délimité aussi pour Denis Côté (Kosovolove, Les Petits Cagney) avec Rejoue-moi ce vieux mélodrame, où le mélo humain a la dimension et l’importance d’une mouche dans l’urbanité tatiesque post-Playtime. C’est court, simple mais terrifiant, parce qu’on s’identifie toujours trop aux mouches…
Si c’est voix off, c’est donc français: à écouter, une lettre de voyage et d’amour très bien écrite pour Entering Indifference, de Vincent Dieutre, sur fond de "non-lieux américains", comme le décrit justement Gendreau. À écouter également, une liste d’identités qui parlent de liberté et de prix à payer pour l’avoir, dans Je m’appelle, de Stéphane Elmadjian. Images faciles, mais texte émouvant.
Dans les lignes narratives plus évidentes et dans made in Québec, on aime vraiment cette pluie oblique et cette lumière bleue de La Dernière Voix, de Karim Hussein et Julien Fonfrède. "L’anticipation fantastique n’est pas courante ici", de rappeler le programmateur. Et puis le film de Lyne Charlebois qui égrène son semainier avec Quel jour était-ce?: Mardi (Je ne m’aime pas), avec une Anne-Marie Cadieux particulièrement naturelle et fragile. Le fantastique est aussi celui de Mario Bonenfant avec En magasin, une fiction musicale au rayon déco d’un grand magasin. Bancal mais surprenant, surtout dans une séquence "chantée et dansée" (ce film sera en première partie du Dictateur, à partir du 24 janvier). Plutôt époustouflant par contre, cet univers à la Caro, monde dans lequel on embarque illico, celui des Ramoneurs cérébraux de Patrick Bouchard, de Chicoutimi, où des marionnettes prédatrices envahissent "l’âme" d’un patient paniqué. Émotion, originalité et esprit baroque pour une oeuvre complète. Et puis, notons aussi The Chinese Dog, du Belge Lut Vandekeybus, qui mélange vol de chiens, exotisme simili-tzigane, nourriture chinoise et chow-chow. C’est du grand cirque en couleur, du concentré de Kusturica. Bref, voici quelques microcosmes qui font, comme le martèle le programmateur, que le court métrage n’est ni une carte de visite, ni un travail étudiant, ni une oeuvre non aboutie. Un film, quoi.
Michael Snow. Génial et sans barrières, on le décrit comme un "cinéaste majeur" depuis près de 50 ans. On est happé par sa caméra circulaire et par s0n jeu d’échelles qui fragmente l’espace. Un grand équilibriste à qui le FCMM offre un sérieux tour de piste: rétrospective de ses films, trois installations présentées, conversation à saisir entre Michael Snow et Thierry de Duve, théoricien de l’art moderne, et lancement du DVD-ROM Digital Snow, un ouvrage de référence destiné au marché éducatif. Et puis le Festival présente son dernier film, Corpus Callosum, sur lequel il travaille depuis 10 ans. Tourbillon d’images trafiquées et sons tordus qui s’interrogent sur ce qui existe "entre". Entre quoi? Univers de bureau ou autre, héros multiples ou pas: il y a transmission de message entre deux unités. Il y a rencontre. Cela peut sembler complètement dingue, et ça l’est; mais c’est aussi fascinant, drôle et brillant. Et ça pourrait tourner encore que ça ne dérangerait personne… (13 et 14 octobre)
Nelson Henricks. Curiosité toujours pour l’oeuvre bricolée de Nelson Henricks, récipiendaire du prix Bell Canada d’art vidéographique. Bourse prestigieuse pour cet Albertain montréalais d’adoption, vidéaste iconoclaste reconnu internationalement. Sélection pour aperçu: Conspiracy of Lies, Comédie, Window, Crush, Legend et Planetarium. (18 octobre)
Anamorphose. Soyez réalisateur. Presque. Anamorphose est un site multimédia qui explore le dernier film de Robert Lepage, Possible Worlds. Une façon virtuelle de comprendre le fonctionnement et la création d’un film. De l’idée au montage, en passant par l’audition, Anamorphose propose un work in progress du film, mais permet également à l’internaute de faire ses propres choix d’angle, de caméra, de durée, etc. Pas idiot.
Uncompressed. Soyez encore plus réalisateur. La créatrice américaine Margi Szperling a construit l’univers ludique et inquiétant d’Uncompressed, dans lequel on peut naviguer. Et où c’est le spectateur qui fait le choix du parcours de l’histoire. Six personnages en quête de sens jouent dans cette fiction un peu fantastique – histoire floue de clonage humain – et on peut, grâce à des codes de couleurs, choisir de quel point de vue on se place. Le récit évolue selon l’un ou l’autre personnage. Et il faut prendre le temps de faire le tour du jardin pour arriver à la narration "subjective", la somme de tous les angles. La bande-son est sophistiquée et les images, surprenantes, élégantes et fantomatiques. Un film / jeu de piste.
Dennis Potter. On le connaissait mal dans la francophonie, jusqu’à ce que son nom circule quand est sorti le film On connaît la chanson, d’Alain Resnais. Resnais, amateur de comédies musicales, s’est inspiré du travail du Britannique Potter. On a donc découvert bien tard que si ça chante sur un enregistrement au beau milieu d’une scène, cela peut être en référence à Dennis Potter, comme dans Pennies From Heaven, par exemple, son oeuvre la plus connue. Scénariste de génie, monstre sacré dans son pays, Potter maniait la complexité autant dans le fond (l’obsession de fouiller toujours plus dans les méandres du désespoir humain…) que dans la forme, déroutante. Et tout cela finissait par divertir. À voir, la rétro de ses oeuvres, pour apprendre.
FCMM
Du 10 au 20 octobre
www.fcmm.com