Bowling for Columbine / FCMM : L'ami américain
Cinéma

Bowling for Columbine / FCMM : L’ami américain

Un film revigorant, provocateur et effrayant; un film-munition pour ceux et celles qui pensent qu’il ne faut pas penser comme tout le monde.

Difficile à rater, Michael Moore. Sur la Croisette à Cannes, quand a été projeté son film Bowling for Columbine – le premier documentaire en compétition au Festival – Moore était le roi. Et il ne pouvait bouger son immense carcasse sans une nuée d’attachées de presse "cellularisées". Le type est une star. Pensez-donc: il envoie des armes de choix pour fournir tout l’antiaméricanisme ambiant, il est le chouchou des Européens, et s’il n’est pas le seul Hérault de la gauche dans son pays, reste qu’ils ne sont pas nombreux à naviguer contre le courant. Son film sort, et c’est la ruée.

Le bon gars de Flint, au Michigan, est sûr de lui. Et en entrevue, il fait son show, parle fort et tire avec précision sur tout ce qui bouge. Jusqu’à ce qu’on touche les points sensibles, les enjeux graves de sa démarche. Et là, le militant prend la parole et on ne rit plus. Son travail est ainsi en dents de scie, schématisant entre la clownerie et le sérieux. Le livre Stupid White Men est rapidement devenu un best-seller, et les films Roger and Me, Canadian Bacon, The Big One, la série TV Nation, etc. oscillent entre le très bon et le très nul. Moore, c’est un fond familial de militantisme, une couche de bonasserie, une couche d’ironie, un peu de démagogie et pas mal d’intelligence. Un beau mélange pour un manipulateur.

Bowling for Columbine est un documentaire-choc, dont le sujet principal est Michael Moore, mais c’est aussi un essai sur la violence et la peur. Pour étayer sa thèse, il prend comme point de départ la tuerie qui a eu lieu au Collège de Columbine à Littleton en 99, et il tire des liens entre la violence domestique (foi immuable dans le droit d’être armé, armes en vente libre, plus de 11 000 morts par armes par an et peur généralisée) et celle de la course aux armements et de la politique étrangère des États-Unis. Disons qu’entre le 11 septembre 2001, les craintes grandissantes d’une attaque en Irak et un taré qui prend les rues de Washington pour un terrain de chasse, Bowling for Columbine tombe à pic…

L’homme à la caméra
"Vous savez, ce que je dis toujours à mon équipe, au caméraman comme au monteur, c’est: dans le doute, enlevez-moi de l’image. J’aimerais mieux ne pas me voir à l’écran." Moore déclare ça à la rigolade. Et il faut prendre ça à la rigolade, car le type mène le bal. C’est son show, et son image est le véhicule de sa pensée. Autant d’importance sur sa personne agace ses détracteurs et fausse parfois la donne. On s’interroge alors sur la véracité de son rôle de Zorro (avec les rescapés de Columbine qui viennent demander réparation chez Wal-Mart) ou de mère Teresa (épaulant une dame tout émue dans les couloirs du collège). On le sait depuis ses débuts: Moore vise large pour cerner son sujet, et ça part parfois dans tous les sens. Ce n’est pas du documentaire réglo et précis. Pire que tout, l’auteur se permet des raccourcis (historiques et politiques) hasardeux qui ressemblent à de la mauvaise foi. Une usine Lockheed qui construit des missiles est située à côté du Collège de Columbine: le lien entre les deux lieux et "l’effet" de violence que cela peut avoir sur la population n’est pas évident. Mais l’amalgame visuel est fort, et il suffit à l’auteur. De plus, Moore en rajoute sur le côté white trash de ses interlocuteurs qui passent souvent pour plus demeurés qu’ils ne sont. Bref, le gars aime avoir raison. Et on comprend alors pourquoi on ne termine pas le film sur une victoire apparemment facile contre les puissants (l’entreprise Wal-Mart qui accepte de ne plus vendre de cartouches devant les yeux étonnés de Moore); mais sur une victoire morale sur la NRA, dans une interview piège avec le vieux sénile qu’est devenu Ben-Hur.

Coup de poing nécessaire
Or, tous ces défauts – qui sont toujours les mêmes et qui arrangent bien les critiques américains – ne sont que de la petite bière par rapport au plaisir qu’on a à voir ce film. Quand Moore fait un montage accéléré des interventions musclées de la politique extérieure et des peurs irrationnelles véhiculées par les médias, ça passe du coq à l’âne, mais c’est à applaudir. On a la bouche ouverte, on en veut encore. On se souvient tout soudain que le coeur est à gauche. Yeees! On aime ces coups de bélier aux murs du château, parce qu’ils ressemblent à nos coups de gueule vespéraux, individuels et malhabiles, qui nous font bondir du canapé au moment du téléjournal. C’est aussi ça le bonheur d’un film de Moore: l’amalgame de nos petites rages personnelles dans un bain de gros bon sens. Un plaisir brut, mais qui défoule. Et pour ce qui est de son abus de schématisation, on aime ça quand c’est pour parler du Canada avec humour, sympathie et moquerie. La boîte de production Salter Street d’Halifax a d’ailleurs permis la réalisation de ce film.

Cependant, rien ne passerait sans son talent d’interviewer qui cherche à confronter ses interlocuteurs. L’homme de Flint lâche difficilement prise et sait écouter aux bons moments. Cela donne des perles. Dick Clark en prend pour son rhume, Marylin Manson n’est pas un monstre et Charlton Heston est pitoyable. "Pourtant, je n’aime pas être un adversaire, précise-t-il sérieusement en entrevue. Que ce soit pour le livre (Stupid White Men) ou pour ce film, j’ai vraiment attendu plusieurs mois que quelqu’un se manifeste. Mais personne n’a bougé. Donc, je l’ai fait." Une star riche qui se jette à l’eau, on peut craindre l’honnêteté de la démarche. Mais dans deux ou trois détails, on sent qu’il n’y a pas tricherie. Et rien que pour ces exemples-là, la réflexion sur le sujet s’avérait nécessaire: On parle légumes bio et soja avec Nichols, le frère du gars qui a aidé Timothy Mc Veigh à bomber l’immeuble d’Oklahoma City, puis il montre son arsenal chargé, dans sa chambre. Avec la même candeur, une banque du Midwest vous refile un fusil si vous ouvrez un compte, et un procureur placide explique que des Blancs armés, c’est plus dangereux que des Noirs armés. Des témoignages simples qui rentrent dedans par leur force primaire, séparant le monde entre les Blancs et les Noirs, entre les mains armées et les mains nues. C’est du frontal. Et là, Bowling for Columbine fait vraiment peur.

Monsieur Moore, avez-vous espoir que les choses s’améliorent? "Je ne ferais pas ce boulot, si je n’étais pas optimiste, dit-il. Mais je n’ai pas beaucoup d’espoir pour le peuple américain. Pour ce qui est des autres pays, ils sont sur une mauvaise pente, ils suivent de près. Mais ils peuvent encore décider de ne pas devenir comme nous…"

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ENCADRÉ

Suite et fin au FCMM
La 31e édition du Festival se boucle ce week-end. Le Café Méliès est plein, les cinéphiles occupent la nef centrale et les salles; et les petites étiquettes "complet" fleurissent nombreuses sur le programme à l’entrée. Pas sûr donc que vous puissiez voir Ken Park, événement de cette dernière fin de semaine, le film accrocheur de Larry Clark (qui en fait d’accroche sait de quoi il parle, puisqu’il est l’auteur de Kids et de Bully), basé sur un scénario d’Harmony Korine (Gummo), sur le sexualité comme dérivatif à l’ennui chez la belle jeunesse américaine. Sera-t-il acheté?.

On recommande aussi le programme de vidéos du Canadien Nelson Henricks, déconcertant et amusant, ludique, et dont on peut s’emparer comme d’un jeu intelligent. À voir également: Casa Loma, le documentaire vidéo de Carlos Ferrand sur un projet non abouti mené par Pol Pelletier durant plusieurs mois. Un travail sur la création, sa fragilité et ses blessures. Et, de dernière minute: le premier film Kino de Gena Rowlands! Durant son passage la semaine dernière au FCMM, l’actrice et muse de Cassavetes a signé son premier film avec une vingtaine de Kinoïtes, à l’occasion d’un atelier samedi dernier. Le work in progress du film de Gena Rowlands sera présenté lors du Kino-Cabaret du 19 octobre à 23 h, à la salle Fellini d’Ex-Centris. Un geste inattendu qui colle aussi bien à la façon de voir de madame Rowlands, à la démarche de feu son réalisateur de mari, qu’aux programmateurs de ce Festival. Tous d’accord pour la promotion d’un cinéma en liberté! Première mondiale en 2003.