Le Nèg' : Drame de couleur
Cinéma

Le Nèg’ : Drame de couleur

Une petite histoire à hauteur de gazon pour saisir l’insoutenable légèreté de l’être: ROBERT MORIN nous lance son film. Grouillant comme la vie. Cinglant comme son titre. Sombre  histoire.

Dans ce mélange fait maison par Robert Morin, il y a des Blancs, un Noir (deux, en comptant la statue d’un petit pêcheur), des gars, des filles, des vieux et des jeunes. Un champ de maïs, une grenouille, des flics et des gars de la campagne sur le B.S. Des balles, des morts, et des bouts de vie. Du comique et de la tragédie. Un fond de pensée sur le racisme, et quelques idées sur le cinéma. Et même les idées les plus fouillées de Morin sur le cinéma. Pas qu’il ait fonctionné par essais-erreurs auparavant, loin de là. Mais avec Le Nèg’, on vient de passer en vitesse-lumière au produit fini. C’est une oeuvre aboutie. Ça se tourne dans la mémoire, et ça se lit dans plusieurs sens. C’est un jeu de Clue pour adultes consentants.

Début de l’histoire: à la campagne et en pleine nuit, un jeune Noir (Iannicko N’Doua-Légaré) brise une statuette de jardin. Ça met en colère la propriétaire Cédulie (Béatrice Picard) qui le tient en joue avec sa carabine. Fin de l’histoire: Cédulie est morte, tuée à bout portant; le gamin est dans le coma, atteint par des balles. Entre la vie et la mort, Tâton (Robin Aubert), Canard (Emmanuel Bilodeau), Samantha la danseuse (Sandrine Bisson) et Josée la bourrée (Suzanne Lemoine) sont les témoins-acteurs du drame qui se joue. Bertrand (Jean-Guy Bouchard) est là aussi, c’est lui qui a donné la carabine à la vieille dame. Ainsi que Polo (René-Daniel Dubois), le fils déficient de Cédulie, qui hurle dès qu’il n’entend plus Fernand Gignac dans ses écouteurs… Là-dessus, un docteur arrive (Isabelle Vincent), et deux flics, un proche de la retraite et un jeune plus fringant (Vincent Bilodeau et Claude Despins), qui prennent les dépositions…

Après le petit nain de jardin d’Amélie Poulain, voici le petit Noir de jardin de Robert Morin. Un monde entre les deux. Sur la trame de polar se greffent plusieurs regards. Personne n’a raison, personne n’a tort. Tout le monde a sa version des faits, sa vision de l’autre, du différent, du Noir; et tout le monde veut exercer un pouvoir. Sauf les filles, étrangement moins garces que les gars dans ce troisième long métrage de Robert Morin.

On comprend vite qu’à vouloir connaître LA vérité objective sur l’enquête, on se perdra, car non seulement ce n’est pas intéressant, mais c’est impossible. Comme d’habitude, ce qu’il y a de mieux, ce n’est pas l’arrivée, mais le voyage. Et les rencontres. Entre improvisations et textes écrits, Morin a fait des merveilles avec les acteurs. Emmanuel Bilodeau fait un show durant sa prise de déposition et Jean-Guy Bouchard, déjà vu dans Requiem pour un beau sans-coeur, est une bombe à retardement. Et le rire arrive, incongru après un cri perçant, quand une femme médecin pose son diagnostic sur un ton clinique ou quand Dorothée Berryman accomplit une sale besogne!

Cette mise en scène théâtrale, ce huis clos qui sort à peine du jardin, dérange d’emblée. On se croirait reparti dans la misère de la tragédie humaine, celle des Raisins de la colère, ou Des souris et des hommes; quand le drame poisseux évolue très vite, et qu’on voit venir de très loin les rednecks avec leurs gros sabots. On sait que tous souffrent et que tous vont craquer. Le film est là pour ça. Mais la multiplication des regards sur un même fait, les plages absurdes (scènes allégoriques) et les sourires larvés sauvent la mise. Et le grand talent de Morin est de savoir écrire sur du vent: toujours faire sentir la matière organique, le magma chaotique de l’humain, sous l’échafaudage sophistiqué des points de vue. On peut toujours essayer de le caser dans le rationnel, l’humain marche le plus souvent entre les gouttes, dans les non-dits, dans le geste. Une punaise dans la main, un regard salace sur une fille, un gars qui boite, une fille qui boit. Saisir l’insaisissable, donc. Brillant.

Dès le 25 octobre