Bloody Sunday : Marche funèbre
Cinéma

Bloody Sunday : Marche funèbre

Dimanche 30 janvier 1972. Une marche pacifique pour l’égalité des droits entre catholiques et protestants doit avoir lieu dans les rues de Derry, en Irlande du Nord. Devant procéder à 500 arrestations exemplaires, l’armée britannique attend de pied ferme les manifestants. Treize personnes sans arme tomberont sous les balles des soldats, 14 seront blessées. Ce Bloody Sunday marquera le début d’une guerre civile qui durera 25 ans, amenant des centaines de milliers de jeunes hommes à s’enrôler dans l’IRA.

Dimanche 30 janvier 1972. Une marche pacifique pour l’égalité des droits entre catholiques et protestants doit avoir lieu dans les rues de Derry, en Irlande du Nord. Devant procéder à 500 arrestations exemplaires, l’armée britannique attend de pied ferme les manifestants. Treize personnes sans arme tomberont sous les balles des soldats, 14 seront blessées. Ce Bloody Sunday marquera le début d’une guerre civile qui durera 25 ans, amenant des centaines de milliers de jeunes hommes à s’enrôler dans l’IRA.

En 1982, alors qu’il est reporter pour World in Action, Paul Greengrass (Resurrected) devient le premier journaliste à interviewer les membres emprisonnés de l’IRA. Sa rencontre avec un prisonnier s’étant engagé dans la lutte clandestine armée au lendemain du Bloody Sunday fait germer en lui l’idée d’un film sur cette page d’histoire. À l’initiative de Tony Blair, une nouvelle enquête avait de plus révélé des faits troublants sur cette journée, renforçant le désir de Greengrass. Toutefois, il ne voulait pas en faire un film militant qui exalterait la victoire de l’idéalisme à l’instar de La Bataille d’Alger, de Gillo Pontecorvo. Bien au contraire, Bloody Sunday s’avère le triste constat de l’échec de l’idéalisme.

À l’origine de ce film, il y a aussi la volonté de Greengrass de faire en sorte que d’aucuns n’oublient que la paix a été gagnée durement et que d’autres conflits ont toujours lieu dans le monde. Tourné durant le processus de paix en Irlande du Nord, Bloody Sunday est une oeuvre percutante tant par son sujet que par sa forme. Le réalisateur-scénariste privilégie une approche documentaire très sobre, voire aride. Un style direct qui n’est pas sans rappeler Les Ordres, de Michel Brault, la distanciation brechtienne et les apartés face caméra en moins. Aucune trame sonore, sauf le téléphone qui sonne sporadiquement, les bruits de foule, les coups de feu et quelques chansons de ralliement comme We Shall Overcome – et, bien entendu, l’incontournable chanson de U2, Sunday, Bloody Sunday, à la toute fin.

Dédiant son film aux Irlandais et aux Britanniques (Bloody Sunday est une coproduction entre les deux pays), Greengrass se concentre sur les événements marquants de cette date fatidique tout en présentant une version à multiples points de vue. Par souci de vraisemblance, d’anciens soldats et manifestants présents en 1972 font office de figurants. Avec son objectivité journalistique, le cinéaste suit le cheminement de quatre personnages issus des différents camps: le protestant Ivan Cooper (James Nesbitt), l’organisateur de la marche, qui partage les idéaux de paix de Martin Luther King; Gerry Dogherty (Declan Duddy, dont l’oncle a été tué au Bloody Sunday à 17 ans), un rebelle catholique de 17 ans – ce que les forces de l’ordre britanniques appelaient un Derry Young Hooligan -, qui rêve d’épouser sa petite amie protestante; un commandant de l’armée britannique (Nicholas Farrell); et un jeune opérateur de radio des troupes paramilitaires (Mike Edwards).

Récipiendaire de nombreux prix prestigieux, dont l’Ours d’or à Berlin (ex æquo avec le film d’animation Spirited Away), Bloody Sunday est si réaliste dans son approche que l’on a l’impression de revivre l’événement en direct, comme s’il s’agissait du reportage d’un génial correspondant de guerre. La tension est sans cesse grandissante, grâce à un montage vivant et judicieux. Pas de temps mort; l’action rebondit constamment d’un camp à l’autre. L’image est grisâtre et rugueuse; la caméra nerveuse s’attarde sur plusieurs détails, capte les manifestants qui fuient dans toutes les directions en entendant les coups de feu, les surprenant affolés derrière les palissades. Il faut voir ces gens hébétés parcourir l’urgence de l’hôpital à la recherche des leurs, et s’effondrer en apprenant les terribles nouvelles. Dominant la distribution, James Nesbitt est criant de vérité, lorsqu’il contrôle la situation ou quand il craque en lisant le nom des victimes lors d’une conférence de presse. Du grand cinéma-vérité comme on n’en voit que trop rarement.

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