Punch Drunk Love : Fleur de bitume
Cinéma

Punch Drunk Love : Fleur de bitume

Avec Punch Drunk Love, cocktail concentré de romance et de malice, PAUL THOMAS ANDERSON nous sert un grand cru. De quoi en réconcilier certains avec ADAM SANDLER. Enivrant.@exergue:

Dans le genre comédie romantique américaine, Adam Sandler vient de nous servir le pire et le meilleur: un épouvantable remake d’un gracieux film de l’âge d’or (Mr. Deeds) et le premier film américain qui renouvelle enfin le genre (Punch Drunk Love). Fait amusant plus qu’étonnant dont on peut tirer deux ou trois choses: d’abord, que les resucées de succès sont de moins en moins supportables; ensuite, que dans le jeu dit sérieux, Sandler s’avère étonnant, plus agréable que Jim Carrey; surtout, que P.T. Anderson confirme son talent de directeur d’acteurs et de réalisateur. Au mieux, il est génial; au pire, il est hors du commun. Et enfin, qu’un dépoussiérage de codes aussi magistral est chose rarissime. Car Punch Drunk Love est un film aussi surprenant qu’il est familier. Déroutant, et pourtant coup de coeur. Un film qui fait siffloter en sortant de la salle, porteur d’émotions légères comme des bulles de champagne, et légèrement étourdissantes. Un film à la fois esthétique et simple, qui fait sourire, et que l’on veut garder pour soi. Bref, difficile à expliquer…

Parce que c’est une comédie romantique qui finit bien, on dira que Paul Thomas Anderson (le grandiloquent réalisateur de Boogie Nights et de Magnolia) vient de faire un film léger. Et on se trompera. Punch Drunk Love est un film d’amour d’une heure trente avec peu de personnages, quelque chose qui ressemble à un défi à l’envers pour un gars qui s’est abîmé dans des histoires non abouties et sombres, frôlant souvent les 180 minutes. Mais ce n’est certainement pas quelque chose de plus léger. PTA, comme les Américains aiment à le réduire, a synthétisé son style, le concentrant pour activer (et parfois déformer) tous les clichés de la romance bubble-gum: un homme (Barry – Sandler – vend des articles de toilette, a sept méchantes soeurs, vit seul et a des comportements bizarres). Asocial malin de la société de consommation, c’est un drôle de loser en costume bleu roi, un nerd un peu frappé, entre Tom Ewell et Jerry Lewis, et qui aurait la tendresse de Jimmy Stewart. Une femme tombe miraculeusement amoureuse de lui. Elle est droite, pleine d’assurance mais reste, elle aussi, un peu outsider (Lena – Emily Watson – a le maintien de Jean Arthur et l’effronterie de Barbara Stanwyck dans un Preston Sturges). Leur amour est bien sûr contrarié (les soeurs de Barry l’empêchent de respirer seul, mais aussi quatre frères blonds et un entrepreneur de ligne érotique, Philip Seymour Hoffman, qui veulent lui casser la figure). On redécore LA scène de retrouvailles amoureuses (en ombres chinoises, version Hawaï) délicate et parfaitement rythmée. Et, en parlant de notes, la musique s’aventure autant dans le violon que dans l’électro (excellent choix que ce He Needs Me, découvert dans le Popeye d’Altman).

On a donc tous les ressorts habituels. On les connaît, comme on connaît l’issue de la romance. Mais que le voyage est bien mené… Il faut pour cela se laisser embarquer dans cette mise en scène clé en main, sophistiquée, dont ne se défait pas l’auteur – esthétisante, boursouflée, narcissique, et ne laissant aucune issue aux personnages, comme au regard du spectateur sur ses personnages -, mais si déroutante et magistrale, belle comme une musique, qu’on tombe sous le charme. La construction de son monde est ronde et complète: Entrée de jeu minimaliste et mystérieuse, avec focalisation sur un petit piano et quelques centaines de boîtes de pudding; construction visuelle s’appuyant sur des aurores boréales de lumière psychédélique, des couleurs saturées, des plans de décors design de non lieux dénudés, et reconstruction élégante (ou kitsch) d’un monde enlaidi.

De plus, cette mise en scène pleine de superlatifs cache des préoccupations que les bluettes de type Ryan-Witterspoon évitent complètement. Punch Drunk Love est un conte de fées ancré dans le réel. D’où l’émotion. Sans s’appesantir, on s’aperçoit du rapport conflictuel de l’individu face à la société, du mec par rapport aux nanas; et on survole une réflexion (courte, mais claire) sur la solitude et la sexualité, comme sur le travail et l’économie. Sandler est un gentil, vide d’amour mais rempli de conflits larvés. C’est un frustré ambulant qui accumule tous les irritants. Et ses coups de poing nerveux sont crédibles. Car si un type peut voyager gratuitement en avion parce qu’il achète une tonne de puddings avec coupons rabais pour obtenir des air miles (fait véridique), un film peut bien partir de ce point de départ et se moquer. Mais construire autour de cette absurdité débilitante une romance aussi fraîche, c’est réussir à faire pousser des fleurs sur du bitume.

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