Les Rencontres internationales du documentaire de Montréal : Le monde en question
En visionnant à la volée quelques nouveaux films de ces 5es Rencontres du documentaire, on peut se persuader que si les gens heureux ont toujours peu de place dans les histoires, ceux qui nous abreuvent de malheurs le font très bien. Le documentaire tourne autour du temps présent, il trotte de côté pour mettre en évidence ce qui n’est pas visible et souvent ce qui enrage. Avec la dénonciation des injustices en dénominateur commun, les films ici ne sont qu’acte politique. Et c’est parfois éclatant, éclairant et désarmant. Les Rencontres du documentaire réservent cette année des surprises de fort calibre. Rencontres majeures.
En visionnant à la volée quelques nouveaux films de ces 5es Rencontres du documentaire, on peut se persuader que si les gens heureux ont toujours peu de place dans les histoires, ceux qui nous abreuvent de malheurs le font très bien. Le documentaire tourne autour du temps présent, il trotte de côté pour mettre en évidence ce qui n’est pas visible et souvent ce qui enrage. Avec la dénonciation des injustices en dénominateur commun, les films ici ne sont qu’acte politique. Et c’est parfois éclatant, éclairant et désarmant. Les Rencontres du documentaire réservent cette année des surprises de fort calibre. Rencontres majeures.
Gestes politiques
À commencer par le très beau film d’ouverture, The Inner Tour – Voyage en terre perdue de Ra’anan Alexandrowicz, où, pudique, la caméra suit le périple schizophrène d’un autobus de Palestiniens en visite sur la terre qui n’est plus la leur. Un voyage spatio-temporel intelligent (coproduction israélo-palestinienne) où l’on regarde un paysage chéri sans pouvoir se l’approprier.
Plus corrosif, plus proche de l’esprit d’Elia Suleiman dans Intervention divine mais dans le camp adverse, Avi Mograbi, réalisateur israélien, prend le prétexte du mois d’août, mois suffocant et irritant, dans Août, avant l’explosion pour montrer le quotidien invivable dans son pays. Des saynètes de rues où la paranoïa et les racismes sont aussi invraisemblables que sauvages sont entrecoupées par des séquences marrantes où le réalisateur, jouant plusieurs rôles, se met en scène comme observateur/acteur alarmé de cette situation.
La facture est journalistique, et l’acharnement est salutaire: voici le premier documentaire sur les massacres des camps de Sabra et Chatila où, durant 36 heures en septembre 1982, les miliciens libanais ont tué, torturé et violé des civils palestiniens. The Accused est une charge directe. Ariel Sharon, qui dû démissionner par la suite, pouvait-il prévoir? Était-il au courant? Dès la première volée de questions posées à Morris Draper, alors délégué américain au Moyen-Orient, on comprend que Sharon pourrait facilement être accusé de crimes de guerre. Témoignage émouvant d’un rescapé, justification vaseuse de gradés, survol chronologique clair et images d’archives montées comme un thriller: le correspondant de la BBC Fergal Keane veut des réponses. Film de pro bouleversant. God bless the BBC.
Deux films sur la terre d’Afrique, tous deux superbes. La Main invisible d’abord, du Québécois Sylvain L’Espérance, qui suit vaguement le chemin de la bauxite, depuis la Guinée jusqu’à ville La Baie, où cette dernière est transformée en aluminium. Vaguement, car on parle surtout du travail, source de dignité. On voit les Guinéens répéter les gestes transmis, de la forge ou de la danse; on voit la sueur et la fierté de "faire"; mais on ne voit pas le travail des Blancs sur la bauxite. On ne voit pas un Blanc. On ne voit que les machines, forcément inhumaines, qui extraient le minerai. De cette confrontation présence/absence naît le respect envers ceux qui savent encore tisser des liens, mais aussi la panique devant ceux qui ne savent plus. À voir.
La balade est moins métaphorique dans Maîtres et esclaves. Le voyage est une enquête. Bernard Debord, connu en France pour son action au sein d’Amnistie Internationale et pour ses films dénonciateurs, prend la piste du Sahel nigérien à la recherche d’esclaves. Avec une association qui tente de casser cette féodalité, on suit le cheminement de deux femmes qui se sont enfuies de chez leurs maîtres. Durant tout le film, il faut se persuader que nous sommes, nous spectateurs occidentaux et eux touaregs nigériens, tous habitants de la même planète et à la même époque! La morgue des touaregs blancs face à ces femmes noires, l’assurance tranquille de leur supériorité à peine troublée par la caméra, l’asservissement si profond de ces jeunes femmes qu’une armée de psys aurait du mal à sortir de l’état de choc, la torpeur de leurs regards rarement directs, les mains qui cachent le visage, un sourire honteux, pas une larme, et une misère matérielle immense: où sommes-nous? Dans un coin reculé qui ne fonctionne que sur le mode survie. Pas de musique, juste des images témoins, pour être présent au lent éveil à la justice. Dérangeant.
Drames à petite échelle
Il n’y a pas que les grandes causes, mais aussi les tourments individuels. Ceux des ashers par exemple, internautes abonnés au site ASH (alt.suicide.holiday) qui inclut le suicide comme liberté ultime, et ne pose pas de jugement. Après une très belle entrée en matière, et avec la rencontre de quatre ashers, le documentaire ASH, World Wide Suicide de Walter Stokman tombe dans le conventionnel de l’entrevue-témoignage. L’ennui nous gagne. Propre aussi, ce 117 Police Secours, de Raphaël Sibilla, qui suit une patrouille de nuit à Lausanne. Sans chercher la surenchère, on regarde l’exercice du métier de ces (jeunes) flics au visage poupin, forcés d’être solides et polis devant des dealers, des toxicos, des violents et des voleurs. Ce film en appelle un autre, présenté il y a deux ans aux Rencontres, Noticias de Uma Guerra Particular, qui exposait aussi une journée de flic, à Rio; à des années-lumière des soucis suisses…
Plus rêveuse et romantique est cette promenade dans la ville natale de Michael Yaroshevsky, Saint-Pétersbourg. De jour, de nuit, en accéléré, en ombres et en couleurs, elle devient Pétropolis en 16 minutes. Très joli.
Qui dit personnel, dit famille, un des pôles de cette cinquième édition. Une évidence: À dimanche, du Belge Benoît Dervaux, réalisateur et cadreur des films des Dardenne. Après La Devinière, film présenté il y a deux ans aux Rencontres, on avait hâte de retrouver son sens du retrait, mêlé à la persistance de son regard. Il nous astreint à regarder. On ne lâche pas Pascaline, mère à 16 ans d’Angelina: on la suit quand elle accompagne sa petite qu’elle a choisi de placer en famille d’accueil, quand elle perd patience face à l’enfant, quand elle la couvre de baisers, quand elle n’est que mutisme face aux autorités. Simple et contraignant. Par contre, sans s’y attendre, avec un peu de lenteur au démarrage, on se laisse prendre au coeur, et jusqu’aux larmes, par cette quête du père: Family, une coréalisation danoise de Sami Saif et Phie Ambo. Sami commence les recherches en vue de retrouver ce père qui a quitté le Danemark alors qu’il n’avait que huit ans. Sami fait le fanfaron dans son appartement, devant sa copine. Il fait l’andouille au téléphone. On suit le cheminement de sa recherche, sur son visage, avec passion. Et puis, il craque. Au son d’une voix, au bord d’un aveu, il se trouve une famille. La découverte d’un frère au Yémen déclenche l’émotion et les questionnements. Et la dernière image, celle d’un homme heureux, soulage. Prix Joris-Ivens 2001 au Festival international du film documentaire d’Amsterdam. Touchant.
Un autre se questionne, mais sur l’argent: Claudio Pazienza, italo-belge, veut comprendre l’argent et son pouvoir dans L’Argent raconté aux enfants et à leurs parents. Avec humour et imagination, avec l’aide de ses parents, de juristes, de doux rêveurs et de monétaristes, il trace un portrait caustique d’une convention sociale. Gentiment subversif.
Enfin, coups de coeur assurés pour les trois petits films de Fernand Melgar, suisse, qui retrace une première journée. Dans L’Apprentissage, il s’agit de la première journée de Béatrice, trisomique, dans un centre de formation professionnelle. En huit minutes, on passe de la panique au soulagement. Dure journée. Dans Le Combat, on accompagne en neuf minutes un jeune boxeur poids plume vers son premier combat. Trac, concentration, dureté, coups: le courage ne quitte jamais ce garçon à peine sorti de l’enfance. Enfin, le plus beau, L’Arrivée. Nous sommes à l’aéroport avec Bruno, le petit Brésilien, et ses parents, qui attendent Maïka, une petite soeur qui vient d’Haïti. L’attente grimpe durant de longues minutes, une éternité, pour arriver à ce déferlement de joie devant une petite puce ensommeillée. Un vrai cadeau que ces films.
Du 15 au 21 novembre
À la Cinémathèque québécoise et au Cinéma ONF
www.ridm.qc.ca
(514) 499-3676