Séraphin, un homme et son péché : Trou de mythe
Cinéma

Séraphin, un homme et son péché : Trou de mythe

Pour enrichissant qu’il puisse être, le film d’époque demeure dur à réussir et souvent figé dans l’anecdote, les costumes, les décors. La plupart des cinéastes privilégient une mise en scène conventionnelle, et s’accrochent à faire vrai. Séraphin, un homme et son pêché, de CHARLES BINAMÉ, adaptation libre du roman de Claude-Henri Grignon, n’échappe pas à la règle.

Le livre de Grignon (1933) est une plaquette tout orientée sur le comportement maladif de Séraphin Poudrier. Il laisse mourir dès les premières pages la pauvre Donalda, et Alexis est une ombre sympathique qui prend à peine plus de volume vers la fin. Peu d’action, peu de personnages, peu de dialogues. Mais toute la mythologie est là. C’est un conte, et c’est le rêve pour quelqu’un qui veut les mains libres pour l’adaptation! Tout est permis. Dans le regard de Binamé, c’est devenu un film sans surprise, qui regorge de musique, de gens et de passion coupable. Un dérivé de Blanche. Tout doit être signifiant, et il y a trop peu de scènes ne servant qu’à souffler: toutes sont éclairantes. Il DOIT se passer quelque chose; on DOIT expliquer le caractère d’un personnage, le passage d’une saison, la mort, l’attente, etc. Et il faut tout montrer; du pourquoi du problème de Séraphin jusqu’à l’identité de l’incendiaire. Pas subtil pour deux sous. Comme si on était incapable de faire des rapprochements, comme s’il y avait une explication pour tout… Dommage pour le conte.

Dans ce microcosme, beaucoup de monde, mais pas de contre-emploi, à part Pierrette Robitaille. Cherchez la coquine et vous trouverez Louise Portal, le notaire obséquieux (Yves Jacques), sa femme frustrée (Anne-Marie Cadieux), le bon copain (Benoit Brière), etc. Comme le dit justement le réalisateur, ce sont des icônes. Roy Dupuis n’a pas changé son personnage d’une fesse depuis Les Filles de Caleb. Pierre Lebeau fait dans le genre docteur Mabuse, et Karine Vanasse sait bien pleurer. Mais qu’on ne vienne pas s’extasier comme on le fait sur cette scène de confiture dans les bois! L’image est forte, mais la sensiblerie exacerbée du spectateur, encore plus…

Or, si toutes ces évidences s’avalent sans douleur, une justesse pourtant frappe. Celle des dialogues, écrits par Binamé et Pierre Billon. Des phrases courtes, des mots simples, des échanges travaillés avec unité et qui ne faiblissent pas: ils seraient à eux seuls les meilleurs porteurs de cette histoire revisitée. Ils rendent hommage au bouquin et reforgent le mythe.

Voir calendrier Cinéma
En primeur

ENCADRÉ

Charles Binamé

Pourquoi une adaptation?
"Parce que c’est une belle histoire, avec des personnages au-dessus de la mêlée, dans le sens de Zola et de Balzac. Quelque chose d’héroïque et d’universel. On n’a pas forcément conscience que cette histoire-là porte autant. Elle produit des icônes qu’on aime haïr, mais elle parle surtout de débroussaillage: on y arrache un pays! C’est en droit fil des contes populaires à la Giono. Tout ce qu’on a toujours admiré dans les cultures étrangères et que chez nous, on n’a pas écrit en long et en large."

Comment orienter une adaptation?
"Je n’ai pas été marqué par la série, je n’ai rien emprunté. Je suis surtout parti du livre; de la vibration du livre. Une femme qui meurt par choix, parce que la situation est intenable. C’est très difficile de mettre en place des destins aussi tordus. Ce genre d’obéissance filiale est maintenant inconcevable dans notre culture. Le roman, je l’ai relu plusieurs fois, et Grignon va très loin, jusqu’à Séraphin qui visse le cercueil de sa femme, un cercueil trop petit… J’ai adapté. Comme l’ajout de cette première scène, qui m’aide à élever le film. Le canif devient alors une espèce de rosebud."

Comment construire le passé?
"C’est un travail que j’adore. J’ai fouillé dans des livres, des photos; beaucoup d’intellectuels ont réfléchi sur cette société. C’est difficile de comprendre la colonie: par exemple, pourquoi le Canadien français est-il devenu si différent du Français en seulement une génération? Il faut faire en sorte que ce qui est montré soit vrai, que le background soit juste. Le reste, ce sont des artefacts. Une des façons est de donner le climat, comme faire entrer la lumière juste par les fenêtres, pour retrouver l’émotion d’un tableau flamand, où les personnages éclairés sortent de l’ombre."