Solaris : Futur antérieur
Cinéma

Solaris : Futur antérieur

Ce qu’il y a de bien avec Steven Soderbergh, c’est qu’il a toujours un point de vue. Ce qu’il y a de moins bien, c’est qu’on aimerait un peu plus de profondeur. Ce qu’on apprécie également, c’est qu’il est un créateur élégant qui ne manque pas de goût.

Le livre de Stanislav Lem a été adapté à l’écran une seule fois, en 1971, par le Russe Andreï Tarkovski. Plus de deux heures sans presque aucune musique, avec des inconnus et des décors sous-développés. Et c’est l’un des films les plus passionnants qui soient. Intrigant et saisissant de beauté. Un film-culte que l’on rapproche de 2001: A Space Odyssey. Parce qu’on y propose une réflexion philosophique ouverte, en envisageant un contact avec un autre monde. De la SF sans boum-boum extraterrestre; de la SF adulte, à la fois émouvante et métaphysique. Il faut dire qu’à la base, le propos est un fantasme de créateur: Kelvin est un psychologue; il est envoyé sur la station Prométhée orbitant autour de Solaris à la demande de son copain Gibarian qui ne semble pas aller très fort. Une fois sur place, il constate que Gibarian s’est suicidé et qu’il reste deux chercheurs déboussolés. À cause des "visiteurs". Qui sont-ils? D’où viennent-ils? Pourquoi l’activité sur Solaris est-elle plus intense? Et pourquoi Kelvin retrouve sa femme, Rheya, qui s’est suicidée quelques années auparavant? Tout est possible.

Si la version de Tarkovski était celle de la mélancolie, et partait dans les avenues plus sociales qu’amoureuses, celle de Soderbergh est ciblée: il s’agit avant tout d’une histoire d’amour. Choix sûr, Soderbergh est doué pour le sensuel. Retenons certaines scènes d’Out of Sight, Sex, Lies and Videotapes et même The Limey. À des fins d’éclaircissement, il a décidé de montrer un passé "terrestre" au couple Kelvin-Rheya. Ce sont, de loin, les scènes les plus réussies du film. Le flash-back sur le couple se banalise au fur et à mesure que se découvre la relation, mais on garde longtemps en tête les instants de leur rencontre, coup de foudre sexy à point.

Soderbergh est un esthète, mais Solaris l’a vraiment inspiré. L’ensemble est parfait. En jouant sur les profondeurs de champs, on découvre des univers à plusieurs niveaux, riches et complexes; des décors conçus comme une projection dans un futur proche, avec un style high-tech et design qui aurait déjà du vécu. Sur la terre, dans une ambiance sombre et pluvieuse, on baigne dans un classique doux. En orbite, l’étrangeté de la situation passe par les tonalités grises et bleutées et les sons sourds. Les meilleures trouvailles sont ces couloirs organiques dans lesquels on ne peut pas courir et où il faut constamment baisser la tête pour avancer. Comme l’entité intelligente qu’elle est, la planète Solaris vibre et évolue sur une superbe musique; matière où le liquide, le solide et probablement le gazeux se mêlent dans des couleurs de barbe à papa.

On a donc un emballage de première qualité, des plans serrés sur les personnages, à la cueillette du moindre haussement de sourcils et de la moindre goutte de sueur. Dans un univers si minutieusement étudié pour s’effacer devant les humains, on ne voit qu’eux. On aime les hésitations bien calculées de Jeremy Davies; la force de Viola Davis et la gueule toujours un peu inquiétante d’Ulrich Tukur. George Clooney et Natascha Mc Elhone forment un couple très bien assorti, lui toujours en mode tension, et elle, beauté hiératique magnifiquement filmée, qui aurait épousé le jeu d’une Dominique Sanda. Un duo fort qui se conjugue sur plusieurs modes de communication pour donner une seconde chance à l’amour.

Et là est le problème. Comment un film qui parle d’un sujet si proche peut-il être à ce point détaché? La distance est une signature de Soderbergh; mais peut-être capte-t-il mieux l’émotion quand il part d’un propos "commercial" et qu’il y met sa touche (voir Erin Brockovich, Traffic ou Ocean’s Eleven) que l’inverse (Full Frontal). L’ensemble a beau être parfaitement huilé pour donner une love story de premier choix, on reste derrière le hublot à regarder, indifférent. Et là, on se met à regretter le manque de profondeur. Car Soderbergh avait tout pour élargir la réflexion. Quand les héros se mettent à parler origine divine et métaphysique au cours d’un dîner, c’est presque enfantin. Le personnage de Viola Davis avait le pouvoir de nous mener vers des explorations philosophiques qui n’ont pas perdu de leur attrait: Sommes-nous destin ou hasard? Le contact est-il bien ou mal? Que faire de la morale quand l’humanité n’est qu’une vue de l’esprit?, etc. Mais Soderbergh évacue toute la réflexion loin dans les décors. Restent les émotions. Toutefois, pour garder un semblant de profondeur en parlant d’amour, il doit aussi donner l’apparence de la complexité. Or, quand on tire tous les fils de cette relation entre chair et esprit, on s’aperçoit que ça se dévide tout seul. Trop simplement. Faux labyrinthe, mais beau voyage.

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